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Déception

Publié le 09 février 2008 par Didier T.
Photo Francesca Woodman
Devant chez lui il y a La Poste. Près de la porte se tient toujours une femme avec un foulard sur la tête et un vieux gobelet en carton dans les mains. Dès que quelqu’un s’approche, elle ouvre la porte en disant bonjour. Elle attend en échange une pièce ou deux. Je me suis installée près d’elle pour essayer de passer incognito, et j’ai attendu en ne lâchant pas un instant du regard la porte d’en face.
Je l’ai vu sortir, comme prévu avec une valise roulante. Je l’ai suivie dans Paris jusqu’à la gare de Lyon. Je ne l’ai pas quittée avant de la voir installée dans le train qui s’en allait vers ailleurs.
Et je suis retournée vers son immeuble. Par chance juste au moment de mon arrivée, un homme sortait. Il m’a tenu la porte en souriant. Je lui ai rendu, détendue, son sourire. Je suis montée jusqu’au troisième étage, j’ai mis du scotch sur l’œil de la porte d’entrée, et j’ai sorti la massue de mon sac.
J’ai frappé de toutes mes forces sur la poignée et la serrure.
- Mais qu’est-ce qui se passe ? Qui êtes-vous ? Arrêtez enfin. Mais qu’est-ce que vous faîtes ?
J’ai fait comme si je ne l’entendais pas. J’ai continué à frapper.
- Arrêtez ou j’appelle la police !
La police ! Il déteste, soi disant, la police ; c’est ce qu’il dit souvent et avec fracas. Mais dès qu’un petit quelque chose d’inhabituel arrive, il en appelle à la Police. La Police ! J’ai tapé deux fois plus fort sur la serrure pour qu’elle se brise. Elle a fini par céder alors j’ai poussé la porte qui est tombée sur lui. 
J’ai soulevé la porte et l’ai remise en place comme si de rien était. Je me suis placée derrière sa tête, je lui ai pris les bras et ai tiré son corps jusque près du radiateur. J’ai sorti des cordes solides de mon sac et je lui ai accroché, comme dans les films policiers, les poignets au radiateur. Je me suis assise dans le canapé et j’ai attendu qu’il revienne à lui.
- Nous allons passer ces deux jours de Saint Valentin ensemble. C’est pas la peine de crier sinon je te frappe avec la massue qui m’a servi à défoncer la poignée ; ca pourrait te tuer.
- Tu es complètement folle ! Malade !
- Je croyais que tu aimais bien les gens fous ? Tu vois c’est une des raisons pour lesquelles je te séquestre. Tu mens. Tu fais croire, tu m’as fait croire ou j’ai bien voulu croire, que tu étais, très, moderne, alors qu’en fait tu es très communément old school. Quand tu entends trop de bruit, tu appelles la police. Quand quelqu’un te propose de vivre un week-end différent, tu le traites de fou.
- Détache-moi.
- J’ai faim ! Tu n’as pas faim ? Qu’est-ce qu’il y a dans ton frigo ? Ah, j’ai vu ta petite copine. Elle est vraiment jolie. Bravo. C’est quoi votre prochaine étape, si tu restes en vie, un appartement ensemble ? Un enfant ? Il n’y a rien de comestible dans ton frigo. Je vais faire simplement des œufs. Une omelette. Avec des morceaux de saucisse. Le pain est peu rassis, mais je vais le faire griller. Où est ton grille pain ? Là, dans le placard ?
- Arrête ! Détache-moi ! Ca suffit !
- Ca suffit toi même. Et surtout inutile de crier, je te l’ai déjà dit. Y’en a marre, reste tranquille.
Il n’a pas voulu m’écouter, j’ai pris la casserole laissée sur la table de cuisson et je l’ai envoyée vers lui. Il s’est tu tout de suite. J’ai mis un disque que j’avais emmené. Une musique jazz. Je l’ai regardé. Il avait l’air d’avoir peur. J’ai trouvé qu’il était sale. Son pantalon était élimé et tâché. Il n’osait pas me regarder ni m’insulter. La casserole, la première casserole, lui avait cloué le bec. Il ne se débattait pas, ne crachait pas sur moi. 
J’ai mangé les œufs en silence en me disant que vraiment je ne savais pas choisir. Que des lâches, des merdeux, des nuls. J’avais envie de chocolat et je savais d’avance que ce n’était pas la peine d’en chercher dans les étagères. Sa copine était du genre régime et lui du genre, rien du tout.
J’ai pris le téléphone portable sur l’étagère. Et j’ai envoyé un sms à sa copine.
« Pr la St Valent, moi attaché nu radiateur, elle mange MA saucisse, great fun ».
Comme d’habitude, je suis rentrée seule chez moi et j’ai écouté James Blunt.
Publié par les diablotintines - Une Fille - Mika - Zal - uusulu

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