Tout le monde le croyait disparu, mort quelque part, des années auparavant, au cœur de la jungle ou dans une rizière, lors de cette guerre du Vietnam qui a marqué à tout jamais l'histoire des États-Unis. Dans ce coin perdu du Missouri, un de ces états agricoles du Middle West, les parents de Jim Lamar ont longtemps attendu le retour de leur fils. Puis ils se sont éteints, lui d'abord, elle ensuite, laissant l'entretien de leur ferme à un voisin. Quand il fut acquis que le fils Lamar avait définitivement disparu de la surface du monde, vint se poser la question de savoir à qui reviendraient la ferme et les terres alentour.Le conseil municipal de Stanford, indécis sur la solution à apporter à ce problème, décida de laisser traîner les choses, livrant ainsi la propriété des Lamar à l'abandon.De la ferme, qui jusqu'ici avait été plus ou moins entretenue par le voisin, Samuel Dixon, ne resteront bientôt plus que les murs, les habitants de Stanford s'étant tour-à-tour servis, qui emportant les meubles, qui les machines agricoles, qui les menus accessoires de la vie quotidienne. Devenue une coquille vide, la ferme des Lamar, n'est plus qu'une maison abandonnée dont s'approchent avec crainte les bandes d'enfants de Stanford, parachevant à leur manière le pillage dont se sont rendus coupables nombre de leurs parents en brisant à coups de cailloux les dernières vitres encore intactes.
Billy Brentwood est de ceux-là. Âgé de treize ans, Billy, comme nombre d'enfants d'agriculteurs aime passer son temps – quand il n'est ni au collège, ni en train d'aider son père aux travaux de la ferme – à traîner dans les bois ou sur les rives du Mississipi.
En cette année 1981 il ne rôde plus guère autour de la ferme abandonnée des Lamar depuis que celle-ci héberge de nouveau un habitant. Au début, tout le monde a cru qu'un ou plusieurs vagabonds s'étaient installés dans la ferme. Bien décidés à chasser ce ou ces squatters, les habitants de Stanford ont fait appel au shérif Butler qui s'est rendu sur place afin d'interroger celui ou ceux qui occupent illégalement cette demeure. Après un bref entretien avec l'étrange personnage qui vit en ces lieux, le shérif va annoncer une nouvelle stupéfiante : l'homme qui vit là, et il est seul, n'est autre que Jim, le fils des Lamar, celui-là même que l'on avait cru définitivement rayé du monde des vivants.Aussitôt, vis-à-vis de cet homme revenu d'entre les morts s'installe chez les habitants de Stanford une crainte et une méfiance hostiles doublées d'un sentiment de culpabilité partagé par nombre d'entre eux : n'ont-ils pas quasiment tous contribué au pillage des biens des Lamar, persuadés à l'époque que cet acte répréhensible n'aurait pas de répercussions ? Et puis cet homme n'est-il pas – comme tous ceux revenus du Vietnam – devenu un marginal, un inadapté, un asocial, un de ces soldats ayant été le témoin et l'auteur des pires atrocités de cette guerre sale ? En ce sens, l'attitude de ce Jim Lamar ne plaide pas en sa faveur, ce géant taciturne, depuis son retour, ne se mélange pas à la population de Stanford. Est-ce de sa part une forme de mépris envers ceux qui se sont appropriés les biens de sa famille ou bien, plus inquiétant encore, la marque d'un esprit dérangé par les horreurs de la guerre, capable à tout instant de donner libre cours à un déchaînement de violence ? C'est cet étrange personnage que va rencontrer Billy au cours de l'une de ses escapades en forêt. Entre le jeune garçon et l'homme solitaire va se créer peu à peu une complicité suivie d'un fort sentiment d'amitié. Une amitié qui ne sera pas du goût de tout le monde dans cette petite communauté d'agriculteurs. Au contact de Jim Lamar, Billy apprendra – comme Jim l'a appris dans d'autres circonstances – que le monde ne s'arrête pas aux frontières du comté de Stanford et que s'il existe de par ce monde des gens « différents », ils n'en sont pas moins dignes de respect. En racontant ses souvenirs, en particulier ceux relatifs à son expérience lors de la guerre du Vietnam, Jim fera comprendre au jeune garçon que le monde est vaste et que les êtres qui l'habitent, si différents soient-ils, ont énormément de choses à nous apporter. C'est ce que Jim a compris lors de cette guerre qui, si abominable soit-elle, lui a permis de rencontrer et de fraterniser avec d'autres hommes dont les origines et les préoccupations étaient à mille lieues de son univers étriqué de fils de paysan du Middle West. Cet échange entre Jim et Billy marquera à jamais le jeune garçon qui découvrira douloureusement à quel point la communauté dont il est issu peut s'avérer étroite d'esprit et intolérante face à tout ce qui peut s'avérer différent de son mode de pensée.C'est donc un roman initiatique que nous livre ici Lionel Salaün, un roman « américain » écrit par un français, comme l'a fait il y a quelques années, et avec tout autant de talent, Frédéric Roux avec son « Hiver indien ». Pourquoi un roman américain ? Peut-être pour faire ressentir au lecteur l'universalité de son propos et peut-être aussi par amour de cette littérature américaine qui mêle le tragique et l'épique, l'intime et le grandiose, ce sens inouï de la description du quotidien où à certains détails apparemment dérisoires viennent s'amalgamer des bribes de la grande Histoire. On ne peut qu'évoquer, en lisant ce roman, le long cortège de tous ces auteurs américains qui ont tant apporté – et apportent encore aujourd'hui – à la littérature universelle.Loin d'être une parodie, un roman « à la manière de ... », le roman de Lionel Salaün est, en plus de son propos profondément humaniste, de sa talentueuse narration, un vibrant hommage à la littérature américaine. Un premier roman qui a la dimension d'un chef-d-œuvre.