Comment échapper à un arbre à visage humain ?
Vous voulez garder votre maison à l’abri du Suceur de Tuyaux de Salles de Bain ?
Il vous faut aller à un rendez-vous avec une femme dont le cou ferait honte à un anaconda ?
Oubliez Godzilla. Oubliez les monstres géants réduits en charpie à coups de karaté par les incarnations en série d’Ultraman, de Kamen Rider et des Power Rangers. Oubliez les Pokémon. Oubliez Sadako dans The Ring et le gamin tout pâle fouteur de jeton dans The Grudge. Oubliez tout ce que vous savez sur les bestiaires fantastiques du Japon. Les yokai sont les plus effrayantes des créatures japonaises dont vous entendrez parler, et il est plus que temps qu’ils obtiennent la reconnaisse qu’ils méritent. (1)
Ce que l’on peut retenir des yôkai, ce sont leurs spécificités. À l’instar de la plupart des créatures légendaires et mythologiques issues de cultures non occidentales, ils ne ressemblent à rien de ce qu’on connaît ici ; au contraire des dieux et demi-dieux grecs ou latins, ou encore germaniques ou celtes, dont la proximité géographique et historique explique leur ressemblance, ou du moins leurs points communs, ces démons, fantômes, elfes ou gobelins – pour autant que ces tentatives de traduction présentent une réelle pertinence – du folklore japonais n’entretiennent aucun point commun, ou alors à peine, avec les créatures surnaturelles « classiques » – faute d’un meilleur terme.Pourtant, c’est oublier un peu vite que la soi-disant universalité de notre bestiaire surnaturel occidental tient uniquement dans cette colonisation imposée par l’Europe au reste du monde à partir de la fin du Moyen Âge : si l’Asie s’était livrée à une telle conquête culturelle et économique à notre place, c’est nous qui connaîtrions les yôkai comme le reste du monde connaît aujourd’hui les vampires et les loup-garous – sans oublier les autres… Encore que ces monstres venus d’Europe restent encore assez mal connus en Asie et conservent une bonne partie de cet exotisme, ou assimilé, que nous autres occidentaux pouvons attribuer à ces êtres surnaturels que sont les yôkai.Mais à cet exotisme se combine un autre aspect moins souvent souligné par les commentateurs comme par les spécialistes historiens : celui que je qualifierais de psychologique, faute d’un meilleur terme, car il se montre assez révélateur sur l’esprit de la nation dont on examine les mythologies, sur sa mentalité, son mode de pensée, bref son identité profonde – mythes et légendes, en effet, s’avèrent souvent explicites sur certains rapports qu’entretient une civilisation avec le monde qui l’entoure : ainsi, ils permettent de se faire une représentation somme toute bien assez instructive de cette culture… Et les yôkai donnent une image bien précise du Japon.Les auteurs de cet ouvrage l’évoque dès la préface du livre d’ailleurs, et les connaisseurs de l’histoire de ce pays ne s’étonneront pas de la voir prendre l’allure de l’animisme qui sert de clé de voute à la religion emblématique du Japon : le shintoïsme. Les yôkai restent donc avant tout des manifestations des éléments de la nature, au sens le plus large du terme, mais aussi – ce qui est moins attendu – des créations de la main humaine assez anciennes pour avoir développé une vie propre, soit un aspect somme toute assez typique de cette civilisation qui reste encore très patriarcale – et dont nombre de yôkai, d’ailleurs, personnifient leur crainte des femmes. Entre autres.En raison de ces racines animistes, cette mythologie japonaise comprend un nombre incalculable de créatures. De sorte que les auteurs de Yokai Attack! n’ont pu choisir l’exhaustivité ; au lieu de ça, ils ont préféré l’emblématique. Voilà pourquoi les spécialistes des productions japonaises, quel que soit leur média, y trouveront des figures familières, ou en tous cas assez voisines de celles qu’ils connaissent. Je vous en laisse la surprise. Les autres y trouveront la possibilité de s’initier à la culture traditionnelle de l’archipel à travers un de ses aspects les plus typiques – dans l’esprit comme dans l’apparence, qui d’ailleurs n’est pas sa composante la plus commune.Le tout complété à merveille par les illustrations très explicites de Tatsuya Morino qui permettent de se faire une représentation tout à fait claire de créatures dont, pourtant, la nature surnaturelle les rend particulièrement difficiles à décrire en détail – ce qui fait une excellente raison supplémentaire de vous pencher sur cet ouvrage décidément très recommandable.
(1) la traduction de ce quatrième de couverture est de votre serviteur. ↩
Notes :
N’ayant pas pu trouver l’opportunité de l’indiquer dans le corps de cette chronique, je vous le précise ici : cet ouvrage n’est pour le moment disponible qu’en anglais et sans aucun prévision de publication en France, en tous cas à ma connaissance. Les lecteurs désireux de se pencher sur un livre similaire en français pourront s’intéresser à Yôkai : Dictionnaire des monstres japonais (Shigeru Mizuki ; 2008), disponible en deux volumes chez Pika Édition.
Yokai Attack!: The Japanese Monster Survival Guide, Hiroko Yoda & Matt Alt
Kodansha International Ltd, 2008
192 pages, env. 10 €, ISBN : 978-4-770-03070-2