Par Julie Cadilhac-Bscnews.fr/ Crédits-photo: Michel Cavalca/ On ne pouvait rêver de mieux pour débuter ce Printemps des Comédiens qui sonne l'heure agréable des premières soirées d'été, surtout lorsque le ciel orageux accorde au Théâtre une parenthèse clémente et ne libère quelques larmes qu'en fin de représentation. Une heure donc en compagnie d'un philosophe éclairé qui évoque ses rêveries de promeneur solitaire, son indignation contre le théâtre qui cherche à plaire plutôt qu'à instruire, grommelle, tempête, se radoucit avec quelques sucres dans son café ou des cerises à l'eau de vie, repart de plus belle, lit des extraits du Tartuffe et malmène le buste de Molière, houspille Bertrand Fayolle, son valet... bref enchante le spectateur de ses traits d'humeur.
Marief Guittier incarne Jean-Jacques Rousseau de façon troublante. Elle fait battre un coeur, maintient des inflexions de voix et des mimiques avec un naturel étonnant. L'illusion est parfaite: calé dans un canapé XVIIIème, on entreprend un voyage temporel délicieux où l'on jouit de l'occasion unique d'écouter les épanchements d'un grand homme.
Le texte de ce monologue, établi par Bernard Chartreux et Jean Jourdheuil, est remarquable. Quel plaisir d'entendre du Rousseau, d'offrir à ses dissertations langagières l'occasion de résonner dans le tympan! Quelle belle initiative que de donner vie à des paysages, donner voix à une lettre et aux confidences agacées d'un homme engagé et exaspéré par les inventions citadines et les hommes de son temps!
Oui, Marief Guittier est brillante en atrabilaire infatigable dont les repas frugaux ont le Livre pour principale nourriture, les récits de randonnées provoquent une ivresse nostalgique, les sensations fortes se cherchent aux bords des précipices. L'Irascible critique tout un chacun, s’insurge contre les mœurs, s'interroge sur la fonction civique du théâtre, peste contre Molière pour lequel il semble pourtant vouer une grande admiration. Un personnage capricieux qui ne manque pas d'amuser le public par ses accusations bilieuses de vieux bonhomme épuisé.
Au coeur de cette manifestation " provinciale", l'apologie rousseauiste de la vie à la campagne ainsi que l'évocation de la Lettre à d'Alembert sur les spectacles sont un clin d'oeil délicieux que tous les amoureux du Festival du Printemps des Comédiens apprécieront.
Si Rousseau analyse les dangers du théâtre donnant trop de place à l'amour, dont les bienfaits cathartiques sont une illusion car l'on nous y sert des passions que nous ne ressentons point et si l'homme de lettres soutient que la comédie est exécrable tant elle rend le vice plaisant et fait rire de la vertu, Michel Raskine, lui, a imaginé une mise en scène à applaudir qui ne manquera pas de nous faire dire qu'heureusement que Jean-Jacques n'a pas eu le fin mot de l'Histoire sur l'avenir du théâtre!
Titre: Jean-Jacques Rousseau
Mise en scène: Michel Raskine
Avec Marief Guittier, Bertrand Fayolle
Production: Théâtre du Point du Jour
Au Printemps des Comédiens du 3 au 5 juin 2011