Tenir compagnie aux sages est l'hommage souverain
Car c'est le moyen d'atteindre la liberté.
Tenir compagnie aux menteurs est un hommage distingué
Puisqu'on y examine la (vraie nature) de la confusion[1]. 12
La fermeté est l'hommage le plus haut
Car l'homme coriace atteint l'immortalité.
Etre velléitaire est un hommage absolu,
Car on s'affranchi ainsi sans tarder des taches entreprises. 13
Célébrer, c'est l'incomparable hommage !
Car Dieu est agréé par la louange.
Mépriser est l'hommage final,
Comme par exemple dire du mal de ceux qui (vous) sont chers[2]. 14
La soif, c'est l'hommage divin
Quand on a grand soif de Dieu.
Le contentement est un hommage omnipotent
Puisque le contentement caractérise Dieu. 15
Voyager est un hommage sans égal
(Si) l'on circombule ainsi Dieu.
Rester assis est hommage sans pareil :
S'asseoir en soi est le meilleur des yogas. 16
Manger est le plus bel hommage
Car on nourrit Dieu.
Jeûner est un hommage excellent
Car Dieu aime les abstinences. 17
Se tenir debout est l'hommage ultime
Car c'est se tenir près du Soi.
S'écrouler est l'hommage le plus haut,
Car c'est, en essence, rendre hommage[3]. 18
Parler est le meilleur des hommages,
Car c'est louer Dieu.
Mais le silence est (aussi) un hommage sans équivalent,
Car être en silence, c'est expliquer Cela. 19
Bouger est l'hommage absolu
Car bouger, c'est manifester Cela.
Ne pas bouger, c'est rendre un hommage parfait :
"Reste tranquille" est la parole du Veda. 20
Naître est l'adoration suprême,
C'est l'incarnation de Dieu[4].
Vivre est une offrande divine,
Car on réalise ainsi les buts de la vie. 21
Vivre longtemps est un hommage extraordinaire
Car les yogins vivent une longue vie.
Vivre peu de temps est un hommage extraordinaire
Car ainsi nous sommes délivrés sans tarder. 22
Mourir est le terme ultime de l'adoration
Car c'est laisser là les restes d'une offrande (désormais inutile)[5].
La tristesse est un hommage sans égal,
La tristesse est un moyen d'accomplir le détachement. 23
Se hérisser de joie est un hommage éminent
Car Dieu est toujours cette joie.
La plénitude est hommage suprême,
Car l'esprit de celui qui est comblé est établi dans le Soi. 24
La maigreur est le plus grand hommage,
Car les yogins sont maigres.
Le profit est un excellent hommage :
Car faire du profit rend content. 25
Perdre (son bien) est une adoration spéciale,
Car on en est par là délivré.
La vertu est l'hommage supérieur :
Les hommes droits respectent les vertueux. 26
Les défauts sont l'hommage le plus haut,
Car ils anéantissent l'ego.
Être reconnu est un hommage excellent,
Car ainsi le Seigneur suprême est reconnu. 27
Être méprisé est un hommage incomparable,
Car un yogin devient parfait grâce au mépris.
La richesse est un hommage sublime,
Car la richesse est un moyen de réaliser l'ordre naturel des choses. 28
La pauvreté est le plus grand hommage,
Car rien ne peut acheter l'Immense.
La vigilance est le plus grand hommage
Car la réalisation vient à qui est vigilant. 29
Être distrait est le plus grand hommage
Car on oublie ainsi ce que l'on (croit) devoir faire.
Dormir à poings fermés est le plus grand hommage
Car c'est la méditation profonde[6] des yogins. 30
Le yoga de l'action est le plus grand hommage
Car l'action est offerte à dieu, l'Immense.
Le yoga de l'amour divin est le plus grand hommage
Car "Celui qui m'aime, je l'aime"[7]. 31
Le yoga de la connaissance est le plus grand hommage
Car grâce à la connaissance on goûte à l'indépendance[8].
Le Quatrième est le plus grand hommage
Car il est expérience directe. 32
L'écoute est le plus grand hommage
Car on écoute le Seigneur Suprême.
La réflexion est le plus grand hommage
Car la réflexion est le moyen de contempler (le Soi). 33
Si notre oreille vient à rencontrer les instructions
De n'importe quel maître pareil à mon maître,
Alors tout, absolument tout,
Deviendra hommage à Dieu et absorption (en lui). 34
La source de toutes ces absorptions,
C'est l'oubli universel.
Dès lors, la concentration sur le Son[9]
Est le meilleur (moyen de tout oublier),
Car le Son est l'absorption ultime. 35
Tout comme une abeille qui boit
Le nectar des fleurs ne désire pas leur parfum,
De même l'esprit qui s'attache au Son
Ne désire pas les objets des sens. 36
Nâdânusamdhâna :[1] parīkṣyate : examiner, observer à fond, sous toutes les coutures. L'A. reprend ici une idée chère au Yogavasiṣṭha - l'une de ses principales sources d'inspiration - selon laquelle l'illusion ne saurait résister à un examen poussé. Se demander de quoi est faite l'eau du mirage, c'est du même coup découvrir sa vraie nature.
[2] C'est un moyen de se débarrasser des proches, donc de réaliser un certain détachement.
[3] Se prosterner (namaskāra).
[4] avaratāraḥ hareḥ.
[5] Le terme nirmālya désigne les restes des offrandes faites à Dieu (en particulier les fleurs offertes à Śiva). Il faut s'en débarrasser au plus vite.
[6] samādhi.
[7] Parole célèbre de Kṛṣṇa dans la Bhagavadgītā.
[8] kaivalya.
[9] nāda : selon Divākara, le disciple et commentateur de Narahari, il s'agit du son entendu dans l'oreille droite. Pour preuve de l'efficacité de cette pratique, il la compare au pouvoir qu'a la musique de nous faire oublier les soucis quotidiens. En outre, toujours selon Divākara, le son est lié à l'élément espace, lui-même proche de "l'espace de la conscience". Cette méthode, empruntée au Haṭhayoga, est toutefois mise au service du but principal visé par le Yogavasiṣṭha : l'oubli universel.