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Mes médocs et moi

Publié le 12 juin 2011 par Lana

Avant, je disais médicaments. C’était des choses que je prenais de temps en temps, quand j’étais malade, comme tout le monde. Pas souvent.

Mais depuis mes vingt ans, j’ai le même rapport aux médicaments que les vieilles personnes, sauf que j’évite en général d’en parler dans le bus. Pas trop envie de m’en vanter ni d’avoir des conversations de vieillards avec des gens de mon âge qui ne prennent pas « leurs médocs » mais des médicaments de temps en temps. Mais moi il faut que j’y pense matin et soir, être sûre de ne pas les perdre quand je pars en voyage, surveiller mes ordonnances et surtout ne pas tomber à cours.

Etant donné que j’ai longtemps caché ma maladie, je cachais aussi mes médicaments. Au fond de mon sac après être passée à la pharmacie, dans un coin de la salle-de-bains pour les prendre quand je ne dormais pas chez moi, et les effets secondaires sous des excuses bateau du genre « je ne sais pas ce que j’ai ».

Mes médocs et moi

Mon premier neuroleptique, c’était du Risperdal. Je le détestais, parce qu’il m’avait fait prendre six kilos et que je ne pensais qu’à l’arrêter, sans pouvoir y arriver. Je ne le prenais qu’en pensant au moment où j’allais l’arrêter: dans six mois, après les examens, après mon diplôme, etc… Je l’avais arrêté au début d’une année scolaire. C’était le bon moment, pas d’examen en vue, pas vraiment de travail. D’abord, il faut supporter la première nuit. Je le savais, j’avais déjà essayé. Une nuit d’insomnie garantie, de nervosité et la tentation de prendre un comprimé pour enfin dormir. Mais je voulais passer outre. Vivre sans médicaments, donc sans la maladie, guérie. Je me lève épuisée, je vais au cours, en essayant de rester calme. Mais tout le monde me tape sur les nerfs, j’ai envie de mordre, de crier, de hurler qu’on la ferme et qu’on ne s’approche pas de moi. Tout ce que je veux, c’est rentrer, me mettre la tête sous l’oreiller, avoir du calme, ne plus voir personne. Les autres vont au bal des bleus, bien entendu il est hors de question que je mette un pied là-bas, je vais rester seule, tant mieux. Pas de chance, ils décident de passer manger au kot avant de sortir. Je mange rapidement avec eux, épreuve ultime avant la solitude, je l’espère. J’annonce que je vais dans ma chmabre, je suis fatiguée, qu’ils s’amusent bien, sous-entendu pourriez-vous dégager rapidement? J’essaye de lire, mais ils ont mis la musique à fond. Je fais semblant de lire, je regarde un peu la télé mais je n’entends pas grand-chose, de toute façon je veux du silence, c’est tout. La tension monte, quand est-ce qu’ils vont partir? Attendre, attendre sans savoir quand ça va se terminer, c’est insupportable. Il est tard, qu’est-ce qu’ils font? J’espère qu’ils n’ont pas changé d’avis, qu’ils ne vont pas rester là. Je commence à me mordre la main pour me calmer. J’ai envie de hurler, de casser quelque chose, je n’en peux plus. Il est plus de 23h et ils sont toujours là. Qu’est-ce qu’ils attendent? Je suis assise en tailleur sur mon lit, la tête dans les mains, je me balance, je vais hurler. Je suis tellement à cran que je m’arrache des mèches de cheveux par poignées. Je regarde les cheveux dans ma main, je n’avais jamais fait ça. Il est plus de minuit. Je me lève. J’entre dans la cuisine, en tremblant et j’aboie « Vous partez quand? » Mon apparition jette un froid. Une amie me dira plus tard que j’avais l’air complètement folle, et quand je lui parlerai d’épisodes de ma maladie, elle me demandera chaque fois « t’étais comme le jour du bal des bleus? ». Je me rends bien compte que j’ai l’air folle, je suis folle, je vais exploser. Mais ils s’en vont, enfin. Et moi je prends un Risperdal. La vie sans médicaments, ce ne sera pas encore pour aujourd’hui.

L’Abilify a été important dans ma vie lui aussi, même si je n’en ai avalé qu’un comprimé. Dès que j’ai entendu parler de ce nouveau médicament, qui ne fait pas grossir, je l’ai attendu. J’ai guetté ses autorisation de mise sur le marché, d’abord au Mexique, puis aux Etats-Unis, et je trouvais injuste qu’on n’y ait pas accès en même temps en Europe. Pour moi, ce médicament, c’était la fin de mes problèmes. Je me détestais avec mes kilos en trop, je passais mon temps à maugréer contre ces neuroleptiques dont je ne pouvais me passer. L’Abilify allait me rendre ma silhouette, ma joie de vivre, ma normalité. J’étais au comble de la joie quand j’ai su qu’on allait en avoir en Europe l’année d’après. D’autant que j’avais changé de neuroleptique, je prenais du Seroquel et j’avais encore grossi. Ma psychiatre m’a fait participer à une étude de pré-mise sur le marché. J’allais avoir de l’Abilify, gratuitement, avant sa commercialisation, à condition de répondre aux questions d’une enquête. J’ai avalé mon premier comprimé, un peu anxieuse parce qu’un nouveau médicament ce n’est jamais facile, mais contente. A peine une heure après, je suis dans un état lamentable, nauséeuse, tremblante, j’ai chaud, j’ai froid, je n’arrive pas à dormir. Le lendemain, mon état ne s’améliore pas. On est samedi, j’ai pris la précaution de commencer le traitement quand je ne travaille pas. J’ai l’impression d’avoir une mauvaise gastro. Je passe une seconde nuit, sans reprendre de comprimés. J’ai essayé de me forcer, mais vraiment je suis tellement malade que je ne peux pas. Rien que de regarder cette tablette de comprimés, j’ai envie de vomir. Le dimanche, je suis toujours mal. Le lundi matin, je n’arrive pas à aller travailler, je vomis et suis toujours faible. C’est la fin de mon histoire avec l’Abilify. Et de mes illusions sur les campagnes de pub des labos.

Certes, j’ai grossi, mais avec le Seroquel, je vais vraiment mieux. Je vais m’en contenter, tant pis pour la ligne. Il me shoote beaucoup, mais il suffit de le prendre avant de dormir et de ne pas trop tarder à s’endormir. Les quelques fois où j’ai augmenté les doses, j’ai déliré, j’ai eu des sensations d’étouffement, le coeur qui battait à tout rompre, je n’arrivais pas à bouger. Pendant des mois, ma tension chutait tellement le matin que je devais prendre ma douche assise, et je me traînais au travail en faisant semblant de rien. Les trois fois où je me suis retrouvée sans Seroquel, croyant que ma boîte n’était pas encore vide, j’ai passé des nuits d’angoisse, de tremblements, d’insomnie. Si je prenais un comprimé le matin, j’étais shootée toute la journée, je ne tenais plus debout, je tanguais. Si je n’en prenais pas, il fallait supporter le chaud et froid, les frissons, les tremblement de manque, mais ça passait vers 13h. Mais ce médicament calme mes angoisses, ce que ne faisait pas le Risperdal, je ne le rejette pas, j’ai compris que j’en avais besoin, et j’y tiens.

Il y a les antidépresseurs, qui m’ont permis de ne plus être dans l’excès pour tout et pour rien. Et que j’ai toujours avalé comme des bonbons, arrêté de la même façon, sans aucun effet secondaire ni symptôme de sevrage.

Et les benzo, dont finalement j’ai eu de la chance de connaître tout de suite la pénibilité du sevrage, parce que ça peut être vraiment bon, une sensation de planer complètement, même si elle passe vite, et plus couramment cette impression de coup de bâton sur la tête qui plonge dans un sommeil profond et sans rêves, une merveilleuse nuit de repos, loin de ses souffrances.

Les médicaments, on peut les décrier tant qu’on veut, nous dire que ce sont des drogues, des lobotomies chimiques, moi je dis qu’ils m’ont sauvé la vie, qu’ils me l’ont rendue supportable et que je réfléchis bien mieux avec que sans. C’est comme ça, maintenant ma vie c’est avec mes médocs, et tant mieux, sinon ce serait bien davantage avec ma schizophrénie.


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