Luigi Bassi (Don Juan), 1787
En 1933, Hitler est nommé chancelier et Mauriac découvre Mozart (1756-1791). Il confie dans son journal que c'est un amour tardif, autrement dit qu'il a fallu attendre l'âge de la maturité (environ 28 ans) pour qu'il apprenne enfin à juger différemment le compositeur autrichien. Jusqu'alors, il considérait sa musique avec dédain, l'estimant "surannée". Et puis comme souvent, un ami, un porteur de lumière comme chez Picasso, se présente pour vous détromper. Mauriac (1905-1970) était venu lui emprunter du Wagner, Chopin, Schumann ou Beethoven, et son ami le persuade d'emporter Mozart. L'écrivain interroge alors ses lecteurs: "peut-être cette aventure est elle survenue à plusieurs d'entre nous: depuis longtemps nous connaissions quelqu'un dont le visage nous était familier, sans beaucoup retenir notre attention. La pensée ne nous serait jamais venue de le trouver beau ni même attrayant, jusqu'au jour où il suffit d'une parole, d'un regard, pour que ce visage nous apparut dans une lumière qui soudain, nous le révélait, comme s'il se manifestait à nos yeux pour la première fois...".
Mauriac prononce ces mots lors d'une conférence donnée le 19 novembre 1936 à l'université des Annales; puis son éloge sera publié l'année suivante dans la revue "Conferencia". J'aime ce texte pour au moins trois raisons. D'une part je me sens moins honteux lorsque j'avoue à mes proches que moi aussi, j'ai vécu une trentaine d'années sur cette planète en ignorant la musique de Mozart, d'autre part il me confirme dans l'idée que l'on peut parler de musique sans en être nécessairement un spécialiste, un musicologue. Voici ce qu'il écrit à ce propos: "je suis ce que Stravinsky appelle un illétré de la musique, incapable de déchiffrer la moindre partition. Je devais d'abord cet aveu...". Enfin pour lui comme pour moi, Mozart représente la joie et l'espérance: "si nous sommes nombreux à lui revenir, ce n'est pas une question de mode, ce n'est pas un engouement. Ou, du moins, je vois à cet engouement une raison simple et profonde: si nous nous revenons à Mozart, c'est tout simplement que nous avons besoin d'espérance." Revenir à Mozart c'est donc croire que cette "triste Europe" ne cédera pas à la tentation de l'autodestruction. C'est naturellement encore un message pour aujourd'hui. Or, comment mieux représenter cette joie ou cette espérance qu'en écoutant "Madamina", la célèbre aria issue de "Don Giovanni" (opéra créé à Prague en 1787) ? C'est l'extrait que j'ai choisi (avec la voix extraordinaire de Bryn Terfel).\"Madamina\", Don Giovanni
Leporello, explique à Donna Elivra, pourquoi son maître l'a abandonnée. Le valet de Don Juan énumère donc la liste évidemment très incomplète des conquêtes de ce séducteur impénitent.