Magazine Culture

Don Giovanni et les femmes (Mozart, 1787)

Par Jazzthierry

Trois femmes entourent constamment Don Juan, gravitant autour de lui jusqu'à la fin: Elvire l'épouse maintes fois trompée, repoussée mais qui s'accroche à l'espoir insensé de pouvoir reconquérir un jour, le coeur de son homme; Zerline qui pour réprendre les mots de Pierre-Jean Rémy, est "la petite paysanne qui se verrait bien pourquoi pas, on peut rêver ! l'épouse, voire tout simplement la maîtresse d'un grand seigneur"; et enfin donna Anna, celle qui a probablement suscité le plus de commentaires.

Chez Baudelaire, Elvire incarne tellement la fidélité qu'arrivée aux enfers avec Don Juan, elle ne peut cesser de l'aimer et de lui réclamer à défaut de tendresse, au moins un sourire c'est-à-dire un signe (très !) modeste de reconnaissance:

Frissonnant sous son deuil, la chaste et maigre Elvire,

Près de l'époux perfide et qui fut son amant,

Semblait lui réclamer un suprême sourire

Où brillât la douceur de son premier serment.

Ici, Mireille Delunsch, qui est aussi poétesse à ses heures, lui prête sa voix de soprano. Elle s'écrie: "Ah, chi mi dice mai quel barbaro dov' ?" (qui pourra me dire où se trouve le traître ?). Elvire parle de trahison, mais on peut noter que ses propres gestes trahissent l'ambivalence de ses sentiments puisqu'elle tient fermement sa lettre et l'instant d'après, la caresse de sa joue comme s'il s'agissait de la main de son époux... On tient là son caractère, à la fois souple et opiniâtre. Elle chante absorbée par ses pensées, et ne voit pas les deux hommes, Don Juan et Leporello, qui depuis la table rouge, l'observent, épient ses moindres gestes. Observez les yeux de Don Juan: on a l'impression d'un aigle qui attend le moment propice avant de fondre sur sa proie. Il jubile, c'est la victime idéale, abandonnée par son amant. N'est-ce pas le moment de lui offrir une épaule consolatrice ?  Le séducteur  est dans cette scène, tellement aveuglé par son désir de conquête, qu'il ne reconnaît pas sa propre femme !

Zerline est très différente. Apparemment la partie n'est pas facile: la paysanne vient tout juste de se fiancer à Masetto, dont elle est très amoureuse. Pourtant la stratégie de Don Juan, qui vise à éveiller la vanité et la coquetterie de la jeune paysanne, est immédiatement payante: il peut lui tenir la main "Là ci darem la mano", et chanter avec elle ce merveilleux duo.

Là ci darem la mano, duo Don Juan et Zerline

On quitte Aix-en-Provence, pour une autre mise en scène. Retour au début de l'opéra: Leporello est assis dans le jardin d'une maison sévillane où Don Juan s'est introduit comme un voleur. Sa complainte est célèbre, "Notte et giorno faticar" (Nuit et jour se fatiguer) pour un homme que la recherche constante du plaisir pousse à mener une existence beaucoup trop risquée et mouvementée aux yeux du pauvre valet. Don Juan sort alors de la maison et recouvre son visage d'un masque funèbre. Quand Donna Anna (Renée Fleming) fait enfin son apparition, l'on sent comme pour Elvire une sorte de décalage entre les mots prononcés et le langage de son corps. Cette femme insultée, violée par un inconnu, est au fond d'elle même attirée par son violeur. On sent cette part de consentement au moment même où son père surgit, le Commandeur, qui paiera de sa vie, la volonté de sauver l'honneur de sa fille outragée. On l'oublie souvent mais Don Giovanni est aussi une tragédie...

Notte e giorno faticar


Retour à La Une de Logo Paperblog

Dossier Paperblog