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Jean Lorrain, des yeux et des masques

Par Jeandeseillac
Jean Lorrain, des yeux et des masques…il faut bien dire que, pour l’ordre, pour l’équilibre des choses, de la société par exemple, l’extrême bêtise est aussi coupable que l’extrême canaillerie ou que l’extrême sainteté.  En un mot la société rejette les monstres du vice, de vertu ou de bêtises ; elle ne souffre pas qu’on s’éloigne de la médiocrité jusqu’aux extrêmes.Maurice Donnay ( J’ai vécu 1900)
Jean Lorrain, des yeux et des masquesVoué longtemps aux Enfers des bibliothèques.  Victime de toutes sortes de catéchismes hypocrites et de chapelles littéraires, Jean Lorrain, comme beaucoup d’autres, a été jeté aux oubliettes de la littérature et des anthologies.  Parce qu’il possédait un regard particulier pour deviner les vices et les tares de ses contemporains. « …moi qui n’ai pas les yeux faits comme tout le monde… ».  Lorrain avait choisi de parler vrai dans une société, où la vérité était inconvenante (elle l’est toujours).  Avec une fantaisie tapageuse, il défia ce monde « …d’oisifs et d’inutiles… ».  Ce dernier ne l’oublia pas en l’oubliant. 

Jean Lorrain, des yeux et des masques

Jean Lorrain.


Dandy fardé, les doigts ornés de bagues, homosexuel, éthéromane, païen, Jean Lorrain, né Paul Duval a vu le jour à Fécamp en 1855.  Une enfance passée dans une douce atmosphère normande, empreinte de légendes locales et des contes d’Andersen.  L’influence danoise se fera encore sentir dans ses premiers poèmes.  Après de mauvais souvenirs de jeunesse chez les dominicains et pas du tout intéressé par la reprise des affaires de son père, il approche le droit à Paris.  Mais plutôt attiré par la littérature que par le métier d’avocat, le jeune homme s’installe à Montmartre. 
Dans la capitale, Lorrain qui a de l’appétit pour quatre, court les cafés et les salles de rédaction.  Diverses feuilles lui commandent des articles. Notre Normand rencontre au célèbre cabaret du Chat noir, Moréas, Richepin, l’hydropathe Emile Goudeau.  En 1882, l’éditeur Lemerre publie son premier recueil poétique « Le sang des dieux ». Notre poète fait la connaissance de Barbey d’Aurevilly, Dandy qu’il admire, de Huysmans qui n’a pas encore publié « A Rebours », et de Coppée.  Notre homme entre dans la carrière journalistique avec un article sur Rachilde, l’auteur du livre à scandale « Monsieur Vénus ». 
Jean Lorrain, des yeux et des masques
Jean Lorrain, des yeux et des masques

Jean Lorrain, des yeux et des masques

Sarah.

Se lie d’amitié avec Sarah Bernhardt, pour laquelle il écrit.  La célèbre tragédienne ne lui prendra aucuns textes. Tous ce monde sert de tremplin à la réussite que le « Rastignac de Fécamp » veut rapide.  Dans la presse, sa signature est vite reconnue.  En littérature, ses premiers livres soulèvent vite une vive indignation.  Ses premières victimes, les braves bourgeois de Fécamp, qui après la parution de son livre « Les Lepillier », désertent tous le salon de sa mère. Ils se sont reconnus dans les personnages peu estimables du récit.  Peu après, il récidive, dans le roman « Très russe », un portrait peu flatteur de Maupassant lui vaut un duel (qui n’aura pas lieu) avec celui-ci.  Un autre duel attend Lorrain l’année suivante.  Devenu désormais membre à part entière du tout-Paris, notre personnage mène de front une vie publique et une vie privée endiablée, alimentant celle-là avec celle-ci.  Grand travailleur, Lorrain écrit beaucoup et publie le plus possible.  Pour avoir écrit que Verlaine avait été condamné à la prison à vie,  il manque de peu que ce poète, lui aussi, ne lui envoie ses témoins. 

Jean Lorrain, des yeux et des masques

Yvette Guilbert


Lorrain fréquente  à cette époque « …l’aspect spectral et réclame à la fois de mademoiselle Guilbert et de ses longs gants noirs… ».  La chanteuse franco-belge fait les beaux soirs de Paris.  Il compose pour elle un succès : « fleur de berge ». 
Ami d’Edmond de Goncourt, Il est pressenti comme membre de l’académie du même nom, Huysmans en serait le président. En 1897, il a encore un duel, cette fois avec Marcel Proust qu’il a, à sa manière, quelque peu égratigné dans plusieurs articles.  Enfant terrible, Lorrain ne tient pas en place.  Il veut tout voir, tout entendre, tout comprendre, tout découvrir.  Etre partout, et surtout là où il ne faut pas être.  Le gaillard passe d’une exposition officielle aux baraques de foire, d’un salon « comme il faut » aux tripots des barrières, du mécène au chiffonnier.  Peu lui importe, l’universalité est son domaine.  Son train d’enfer et son souci de ne rien laisser échapper le met à l’avant-garde de la nouveauté.  Par goût, par amour de la beauté et du talent, il fait connaître Pierre Louÿs, Maeterlinck, Rictus et d’autres encore.  Il met en vogue le créateur Lalique, auquel il propose des modèles de bijoux qu’il a lui-même dessiné.  Il ne s’arrête jamais.  Reprenant la formule de la Pall-Mall Gazette de Londres qui divertit ses lecteurs des scandales de la haute société victorienne, Lorrain crée ses propres Pall-Mall, dans les colonnes de son journal.  Echos mondains et artistiques quotidiens qu’il signe d’abord, scandale oblige, Restif de la Bretonne, en souvenir de ce Pornographe, roi des nuits chaudes de Paris.  Menacé d’un procès par un descendant, Lorrain signe alors Raistif.  Lorrain-Raistif, chroniqueur mondain trace, pour le plus grand bonheur de ses lecteurs, des portraits à l’acide. Bienveillant ou Féroce, il lance de nouvelles vedettes ou brise des carrières. 


Jean Lorrain, des yeux et des masques

Au théâtre.

 « …cette soi-disant chanteuse mondaine…comment n’ont-ils pas vu que c’était une morte ?...un vrai cercueil de reine d’Espagne…je n’écoutais pas chanter une femme vivante, mais un automate aux pièces disparates et montées de bric et de broc, peut-être pis encore, une morte hâtivement reconstituée avec des déchets d’hôpital…cette soirée commencée comme un conte d’Hoffmann s’achevait sur une vision d’hôpital… »

Jean Lorrain, des yeux et des masques

Liane de Pougy.


La célèbre courtisane, Liane de Pougy lui devra une grande partie de sa notoriété. Liane et Jean ont en commun le culte de la beauté et l’horreur de la bêtise humaine.  Jean aime les messieurs (Je suis la Sarah Bernhardt de ce monde-là) autant que Liane aime les femmes.  Leur amitié a pourtant bien mal commencé, la plume aiguisée du terrible chroniqueur avait écrit ces mots « …Que Madame de Pougy se rassure : son amie la Belle Otero est encore bien plus ridicule ; elle n’a que le second prix de grotesque ; il faut qu’elle s’y résigne… ».  D’autres ont moins de chance : Bob Walter.  Furieuse contre le chroniqueur, cette artiste lui expédie chaque jour ses Pall Mall après usage…Notre homme la baptise dès lors Walter-closet.  Un surnom qui met un terme définitif à la carrière artistique de Bob.  Quant à la grande comédienne Rejane connue pour sa mauvaise haleine, il l’appelle la belle Haleine.  Lui-même ne s’épargne pas il se qualifie : « d’Enfilanthrope ».  A suivre…
J.D.
 

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