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INTERVIEW – Poupoupidou : Gerald Hustache-Mathieu, et ses icônes déchues.

Publié le 15 juin 2011 par Celine_diane
INTERVIEW – Poupoupidou : Gerald Hustache-Mathieu, et ses icônes déchues.
Il n’y a pas à dire : Poupoupidou est un petit joyau. Noir, plein de spleen et de tendresse, suintant l’amour du cinéma, chuchotant à l’oreille les solitudes de ses personnages. Dans ce film, disponible en DVD depuis le 18 mai dernier, Gerald Hustache-Mathieu a convoqué les plus grands (Ellroy, Lynch) pour mieux imposer sa propre patte, celle d’un auteur inspiré, hanté par les spectres du cinéma (et du rêve) américain.
Des dérives d’une femme-fantasme, et fantasmée, d’un fantôme in fine, noyée dans les inconscients- masculins, collectifs- et vraisemblablement figée pour toujours dans l’image de sa perfection, il tire une œuvre à la mélancolie entêtante, captivante, subtile.
Pour Céline Cinéma, Gérald Hustache-Mathieu nous en dit un peu plus sur ses intentions.
Il y a beaucoup de références dans Poupoupidou, au Dahlia Noir d’Ellroy notamment et au cinéma de Lynch (avec la notion du double féminin que l’on retrouve dans Lost Highway ou Mulholland Drive) : était-ce voulu ?
Oui, mais d'abord et avant tout parce que vous citez 2 géants du genre. Et les géants, laissent des empreintes indélébiles qui imprègnent toutes les œuvres qui les suivent...
Ensuite, j'ai justement décidé d'assumer ces influences, d'en faire la matière première du film à valeur égale avec des choses imaginées, ou des éléments autobiographiques. Comme pour une chanson, je me disais que je pouvais éventuellement en faire des "cover", ou utiliser ces influences comme un sample en musique.
Par exemple, quand Candice récite "Le Corbeau et le Renard", minaudante, dans la salle de réunion de la fromagerie, Candice rêve aussi fort que Betty Elms, apprentie comédienne fraîchement débarquée de province et venue conquérir Hollywood dans "Mulholland Drive".
INTERVIEW – Poupoupidou : Gerald Hustache-Mathieu, et ses icônes déchues.D'ailleurs, si on comparait les deux scènes, il y aurait là une partie de la réponse à votre question. Chez Lynch, la scène est flamboyante, et frôle la perfection, celle de mon film est évidemment plus dérisoire, et ne véhicule pas du tout la même tension, la même émotion. Mais c'est justement dans cet espace qui sépare les deux scènes que je veux situer mon film, cet espace, pour moi c'est ça, le rêve Américain.
Il ne s'agissait pas du tout de rendre hommage. C'était d'avantage du vol à la tire. La scène que je samplais devenait une partie du film comme une autre. J'ai réutilisé des éléments pour en faire une nouvelle composition. Je l'ai appliqué en toute impunité à la vie de Marilyn, certains de ses films, mais aussi à d'autres films ou séries US, à "Amarcord" de Fellini (la séquence du fou dans l'arbre) qui sont eux aussi des échantillons que mon film remixe, recycle avec le reste.
Cette idée de sampler des images, des scènes, m'a donné une liberté nouvelle dans mon travail. Tout a déjà été dit, écrit, filmé, mais, en musique, on sample, on remixe. En peinture, les artistes s'inspirent de toiles existantes, certains utilisent même le collage. Pourquoi ne pas appliquer cela au cinéma ? D'ailleurs je n'invente rien, regardez Tarantino pour ne citer que lui.
Votre héroïne, cette présentatrice de météo, perdue en pleine Franche Comté, se rêve en Marilyn Monroe … C’est une femme-fantasme, rêvant de gloire et de reconnaissance…Diriez-vous qu’à l’instar de l’actrice, elle est une martyre d’Hollywood ?
INTERVIEW – Poupoupidou : Gerald Hustache-Mathieu, et ses icônes déchues.Marilyn ou plutôt Norma Jeane a été certainement une martyre d'Hollywood... Mais pas seulement. Elle est aussi et surtout la victime d'une enfance chaotique, d'une mère incapable de l'aimer...
Victime ensuite des hommes qu'elle a rencontrés, de son psychiatre qui a fait exactement l'inverse de ce qu'il aurait fallu faire pour l'aider et sans doute aussi victime d'elle-même, de son manque de confiance, d'estime de soi. Candice, ou plutôt Martine, je l'ai construite comme un double de Norma Jeane, mais je ne dirais pas qu'elle est une martyre d'Hollywood.
En revanche, la fin du film et la résolution de l'énigme de sa mort, devait retrouver un rapport avec celle, toute aussi mystérieuse, de Marilyn.
Plus que le chemin de croix d'une "martyre", pour moi le film raconte plus simplement une histoire d'amour ratée, manquée de justesse. Si Rousseau était arrivé à Mouthe quelques jours plus tôt, alors qui sait, les choses auraient pu être différentes.
Elle est piégée au cœur d’un paradoxe aussi… ce besoin viscéral d’être vue (pour se sentir exister…), cette recherche permanente de regards …. Regards qui finalement la mèneront à sa perte, puisqu’ils la conditionnent.. Est-ce finalement la malédiction de toute actrice ?
N'est-ce pas aussi la "malédiction" de tous ceux qui ne se font pas assez confiance ? Le point commun de Norma Jeane, Candice, Rousseau, le brigadier Leloup, c'est que ce sont tous des personnages qui doutent énormément d'eux-mêmes, qui manquent d'estime de soi. Rousseau voudrait être James Ellroy ou Magnus Hørn... Leloup voudrait être dans la police scientifique canadienne, et Candice se rêve en actrice, en Marilyn...
Chercher ailleurs et donc dans le regard des autres la reconnaissance, l'estime, c'est effectivement mettre en route une machine à se perdre.
INTERVIEW – Poupoupidou : Gerald Hustache-Mathieu, et ses icônes déchues.
Le film lui-même, en assumant le rêve qu'il a (à travers moi) de ressembler au cinéma américain en en kidnappant ses mythes, est aussi une métaphore de cette quête impossible. D'ailleurs, n'est-ce pas aussi la malédiction des films français de vouloir exister dans le regard des mythes et du cinéma américain ?
La seule voie, le seul chemin pour Rousseau, c'est de s'assumer en tant que "David Rousseau", (en tant que film et cinéaste français) essayer de remettre la bande à zéro en s'acceptant tel qu'il est. Rousseau sait qu'il y a des auteurs plus brillants que lui, qui écrivent des romans qui réussissent d'avantage à parler du monde, à en donner une vision. Lui ne sait parler sans doute que de 2 ou 3 obsessions qui l'intéressent, mais il essaie de les explorer, d'en faire un récit au plus proche de l'os qui le constitue.
Il répond à ce texte de Dino Buzzati qui m'avait beaucoup marqué :
« De quoi as-tu peur, imbécile ? Des gens qui sont en train de te regarder ? Ou de la postérité par hasard ?
Il suffirait d’un rien ; réussir à être toi-même, avec toutes tes faiblesses inhérentes, mais authentique, indiscutable. La sincérité absolue serait en soi un tel document !
Qui pourrait soulever des objections ? »
En attendant impatiemment son prochain film, Les Pures Princesses, Céline Cinéma vous invite à découvrir sans tarder Poupoupidou, ainsi qu’Avril, les deux beaux films de Gérald Hustache-Mathieu, disponibles en DVD.
Lire la critique de Poupoupidou.

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