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Une odeur de gingembre – Oswald Wynd

Par Livraire @livraire

Une odeur de gingembre – Oswald WyndQuatrième de couverture :
En 1903, Mary Mackenzie embarque pour la Chine où elle doit épouser Richard Collinsgsworth, l’attaché militaire britannique auquel elle a été promise.
Fascinée par la vie de Pékin au lendemain de la Révolte des Boxers, Mary affiche une curiosité d’esprit rapidement désapprouvée par la communauté des Européens. Une liaison avec un officier japonais dont elle attend un enfant la mettra définitivement au ban de la société. Rejetée par son mari, Mary fuira au Japon dans des conditions dramatiques. À travers son journal intime, entrecoupé des lettres qu’elle adresse à sa mère restée au pays ou à sa meilleure amie, l’on découvre le passionnant récit de sa survie dans une culture totalement étrangère, à laquelle elle réussira à s’intégrer grâce à son courage et à son intelligence.
Par la richesse psychologique de son héroïne, l’originalité profonde de son intrigue, sa facture moderne et très maîtrisée, Une odeur de gingembre est un roman hors norme.

Mon avis :
En 1904, une jeune fille de la petite bourgeoisie écossaise est envoyée au bout du monde épouser un homme qu’elle n’a pour ainsi dire jamais vu. Nous faisons la connaissance de la jeune Mary Mackenzie, âgée de vingt ans, sur un bateau en partance pour la Chine, en compagnie de son chaperon. Curieuse et naïve, elle a grandie préservée de tout, ainsi que le voulait l’éducation victorienne. Sa mère restée en Écosse, son chaperon, les étrangers qui l’entourent, tout le monde semble être mieux informé qu’elle sur ce qui l’attend, et sur la façon dont elle s’y adaptera, de gré ou de force ne peut-on s’empêcher de songer entre quelques lignes. Quand la première épreuve surviendra, elle apprendra rapidement que les gens ne sont pas toujours ce qu’ils semblent être, et que le vernis social n’est rien d’autre qu’une sauvegarde des apparences.

L’arrivée en Chine, au sein de la petite communauté repliée sur elle-même que constituent les européens un peu plus de deux ans après la fin de la guerre des Boxers, n’aura rien de très amusant et les premières difficultés, présageant des lendemains bien difficiles, même pour qui n’aurait pas lu la quatrième de couverture, vont rapidement poindre. C’est ici une question religieuse, l’injonction faite à Mary de rejeter l’église d’Écosse pour embrasser la foi anglicane, chose à laquelle elle se refusera et qui provoquera la colère de son futur époux, là certaines allusions silencieuses au budget du ménage -dont Mary ignore tout et dont elle est, volontairement, tenue à l’écart. Une précision à la fin du récit fait écho de manière assez révoltante à cette ignorance-  ou encore le refus catégorique de son époux face aux demandes de sa femme pour apprendre le chinois, ne serait-ce que pour donner correctement des ordres à ses domestiques.

La liaison avec l’officier japonais n’est qu’un bref passage, un simple fait dont les conséquences bouleverseront à jamais la vie de Mary qui, enceinte, se retrouvera mise à la porte par son mari, qui laisse pour unique consigne de la renvoyer chez sa mère, ce qui, bien évidemment n’arrivera pas. Elle arrivera au Japon, et tant bien que mal, y restera pendant trente-cinq ans, jusqu’au début de la Seconde Guerre mondiale, traversant tremblements de terre et coups du sorts avec, non du courage, mais plutôt une sorte de sagesse avisée, de pragmatisme et de bon sens que Mary elle-même qualifie « d’écossais ». Elle n’aura plus jamais de nouvelle de sa mère après que cette dernière n’ait été avertie de sa situation, honteuse encore aujourd’hui -sans doute pas ouvertement, mais sournoisement sans aucun doute-  plus que scandaleuse à l’époque. Elle ne recevra qu’une note, à la mort de sa mère adressée « à Mary Mackenzie, autrefois Collingsworth », quelques mots lapidaires qui pourraient faire concurrence à Talleyrand.

C’est à travers les descriptions de Mary, à travers son journal et plus rarement ses lettres que nous découvrons une image de la Chine au tout début du XXe siècle, une Chine sur le déclin, gouvernée par l’impératrice Cixi, entr’aperçue lors d’une visite officielle à la Cité Interdite. Une Chine où pullulent les mendiants, et tout le monde de prévenir la toute jeune femme qu’elle finira par s’y habituer, ce qui ne sera jamais le cas.
La peinture du Japon est elle aussi sans complaisance, peut-être encore plus marquante que celle de la Chine, et parce que Mary y passera une grande partie de sa vie, et sans doute parce que ce fût le cas de l’auteur, qui y naquit  de parents écossais en 1913 et ne se rendit en Écosse qu’à l’âge de dix-neuf ans. Loin de dépeindre un Japon idyllique et merveilleux aux coutumes intactes et aux raffinements inouïs des quartiers de Yoshiwara, on nous décrit les problèmes de confort, les subtilités de la langue des femmes dont Mary saura user à merveille quand il le faudra, les inégalités entre les hommes et les femmes -qui nous semblent encore plus écrasantes que sous nos latitudes- à travers la personne de Aiko. Plus anecdotiques mais sans doute encore plus savoureux, les commentaires de Mary quant aux tentatives d’adaptation de la cuisine occidentale qui semblent particulièrement ratées ou les désirs des japonaises de se vêtir à l’européenne, ce qui ne semble guère être seyant sur elles.

Une odeur de gingembre est un roman prenant dont la forme, mêlant lettres et journal intime, rend avec subtilité et une facilité trompeuse l’étonnante trajectoire de la vie de Mary Mackenzie, qui va se détacher de tous les schémas établis pour tracer le sien, avec un  remarquable  sens de l’à-propos et une intelligence qui pour être empirique n’en est pas moins exceptionnelle.

Je conclus cette note par un remerciement à la personne qui a eu l’adorable idée de m’offrir ce livre, après l’avoir échangé puisque le premier exemplaire cachait en réalité Stendhal sous sa couverture !


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