Voici un texte de Jacques Maritain, philosophe thomiste du XXème siècle.
Dans cet extrait, Maritain arrive à la conclusion qu'il est impossible que je sois né un jour. j'ai toujours existé dans un être suprapersonnel. C'est sans doute le passage le plus mystique de toute son oeuvre.
« Comment est-il possible que je sois né?,.. C'est quand un homme est ainsi engagé dans un acte de pensée purement intellectuel (pour autant que cela est possible à l'animal raisonnable) qu'il arrive que l'intuition dont il est question ici se produit : comment est-il possible que ce qui est ainsi en train de penser, en acte d'intelligence, ce qui est immergé dans le feu du connaître et de la saisie intellectuelle de ce qui est, un jour ait été pur néant, un jour n'ait pas existé ? Là où je suis maintenant en acte d'intellection et de conscience de ma pensée, un jour il n'y a eu rien ? C'est impossible, il n'est pas possible qu'à un certain moment ce qui pense maintenant n'ait pas été du tout, ait été un pur rien. Comment cela pourrait-il être né à l'existence ? Je ne suis pas ici en face d'une contradiction logique, je suis en face d'une contradiction vécue, d'une incompatibilité de fait (connue in actu exercito) : comme si je me trouvais dans une salle sans l'avoir quittée un instant, et qu'on me dise que je viens d'y entrer — je sais que ce qu'on me dit là est impossible. Ainsi moi qui suis maintenant dans l'acte de penser j'ai toujours existé : cette vue s'impose à moi et ne me paraît bizarre que si je m'en retire pour la considérer du dehors... Mais je sais bien que je suis né. Après tout je le sais par ouï-dire, mais enfin je le sais d'une certitude absolue, et au surplus je me souviens de mon enfance. C'est cette certitude d'être nés, commune à tous les hommes, qui réprime en nous l'éclosion — quand s'active en nous la spiritualité naturelle de l'intelligence — de l'autre certitude, celle de l'impossibilité que notre existence d'esprits pensants ait commencé, ou succédé au néant d'elle-même, et qui empêche cette autre certitude de parvenir à la conscience.
Me voilà pris entre deux certitudes contraires. Il n'y a qu'une issue : J'ai toujours existé, moi qui pense, mais non pas en moi-même ou dans les limites de ma propre personnalité — et non pas non plus d'une existence ou d'une vie impersonnelle (sans personnalité pas de pensée, or il fallait bien que la pensée fût là puisqu'elle est maintenant en moi) — donc d'une existence ou dune vie supra-personnelle. Où donc ? Il faut que ce soit dans un être à la personnalité transcendante, en qui se trouvait d'une façon suréminente tout ce qu'il y a de perfection dans ma pensée et dans toute pensée, et qui dans son propre soi infini était, avant que je fusse, et est, maintenant que je suis, plus moi que moi-même, et qui est éternel, et duquel mon moi qui pense maintenant a un jour procédé dans l'existence temporelle. J'avais (mais sans pouvoir dire moi) une existence éternelle en Dieu avant de recevoir une existence temporelle dans ma propre nature et ma propre personnalité. » Jacques maritain, Approches de Dieu.