Cela est peu connu, mais Napoléon Bonaparte s’est intéressé à l’Inde dés sa jeunesse. Il avait lu plusieurs livres sur l’Hindoustan d’alors et avait parfaitement pris la mesure de l’intérêt de l’Inde, déjà source de grande richesse pour les Anglais. On sait aussi que les rêves de conquête de l’empereur étaient nourris des exploits d’Alexandre le Grand dont les armées avaient franchi l’Indus.
Mais comme on va le voir l'Inde n'a pas été seulement un rêve pour l'Empereur; l'Inde rentra pleinement dans sa vision stratégique de la lutte contre les Anglais et dans ses projets de conquête.
Quels furent les projets de Napoléon pour l’Inde ? Envisagea-t-il sérieusement la conquête de l’Inde ? S’agissait-il d’une invasion terrestre ou maritime ? Quels étaient les alliés possibles de Napoléon en Inde ?
Nous avons repris l'excellent texte de l'historien français Paul Gaffarel (1843 - 1920), texte que nous avons allégé, complété, parfois remanié et illustré.
On sait par les récits de Lucien Bonaparte que Napoléon s’est intéressé très tôt à l’Inde ou plutôt à l’Hindoustan.Lucien Bonaparte raconte, dans ses mémoires, que ses frères et lui se trouvèrent un jour, en février 1793, réunis à la table de famille, à Ajaccio. La conversation tomba sur la prépondérance anglaise dans les Indes. « Je n'ai jamais oublié, écrit Lucien, que Napoléon dit que c'était là un pays à faire fortune, et que, s'il n'était pas promu, et bientôt officier supérieur, ce qu'on lui avait fait espérer, il ne serait pas éloigné de songer à y prendre service. Je lui ai entendu dire plusieurs fois dans le même temps que les Anglais faisaient plus de cas que les Français d'un bon officier d'artillerie, et qu'aux Indes les sujets distingués de cette arme sont fort rares. Au reste, disait-il, ils sont rares partout, et, si je prends jamais ce parti-là, j'espère que vous entendrez parler de moi. J'en reviendrai clans quelques années en riche nabab, et vous apporterai de bonnes dots pour mes trois soeurs. »
Le 9 thermidor (27 juillet1794)
Le 9 thermidor marque la chute de Robespierre et ce tournant de l’histoire faillit l'arrêter net dans sa carrière. Compromis à cause de ses relations avec le parti vaincu, et relégué dans un obscur commandement qu'il ne voulut pas accepter, il tourna de nouveau ses pensées vers ces contrées orientales qui offraient une ample matière à son génie remuant et à son ambition démesurée. Le Sultan Sélim (empire Ottoman) se préparait alors à entrer en campagne contre la Russie et l'Angleterre. Il avait demandé à la France quelques officiers pour accroître ou plutôt pour réorganiser ses ressources militaires. Bonaparte songea à se faire donner par le Comité de Salut Public une mission en Turquie. La perspective d'un grand rôle à jouer dans ces contrées destinées à de gigantesques révolutions charmait son imagination ; mais, avant qu'il eût soumis ses projets à l'acceptation du Comité, il était subitement remis en pleine lumière, et, à la suite du 13 vendémiaire (5 octobre 1795), nommé général en chef de l'armée d'Italie en mars 1796.
La conquête de l’Egypte envisagée comme un étape vers l’Inde
Conquérant de l'Italie, vainqueur du Piémont et de l'Autriche, Bonaparte n'oublia jamais l'Orient. Il songea dès lors à profiter de la faiblesse de la Turquie et de son prochain démembrement pour s'emparer de l'Egypte. Encore l'occupation de ce pays n'était-elle dans ses pensées que le prélude d'expéditions plus importantes. « Je vois d'ici, écrivait-il au Directoire, la côte où s'embarqua Alexandre pour la conquête de l'Egypte. » Le grand nom d'Alexandre n'était pas jeté au hasard. C'était bien sérieusement que Bonaparte songeait à renouveler les exploits du héros macédonien. Après l'Egypte la Syrie, puis l'Arabie et la Perse, enfin l'Hindoustan. Ruiner les établissements anglais et établir solidement la prépondérance française dans l'Extrême-Orient, chasser les Turcs de Constantinople et les renvoyer en Asie, grâce à un immense soulèvement des populations grecques et chrétiennes, enfin revenir à Paris en prenant l'Europe à revers, tels étaient les projets dont l'occupation de l'Egypte ne formait que le simple préliminaire. Aussi bien Bonaparte n'était-il pas l'homme de l'Asie plutôt que de l'Europe ? En Asie il y avait à conquérir, à fonder, à innover, et on agissait sur des masses énormes. On pouvait remuer les hommes par millions, et, avec quelques idées simples mais pratiques, fonder une civilisation durable. Si jamais homme eut quelque chance de réaliser une chimère aussi gigantesque, ce fut assurément le conquérant de l'Italie et de l'Egypte.
La préparation de la conquête de l’Inde
Dans la Correspondance de Napoléon se trouve la preuve de cette persistance dans ses projets au sujet de l'Hindoustan. Au moment où il préparait l'expédition d'Egypte, quelques jours avant son départ pour Toulon, le 5 avril 1798, il écrivait au ministre de la guerre : « Le général en chef Bonaparte est instruit qu'il existe au dépôt de la guerre des exemplaires de l'atlas du Bengale du major Rennell et des cartes particulières du cours du Gange publiées par des Anglais. Il vous prie de les faire mettre à sa disposition : elles seront réintégrées dans le dépôt lorsqu'elles auront servi au but auquel on les destine, et j'en donnerai reçu. »
A SUIVRE