Le lendemain, avant l'aurore, nous nous acheminâmes vers les Pyramides d'où nous voulions saluer le premier soleil de 1828 : il y avait 5228 ans qu'il s'était levé pour la première fois sur ces monuments.
Emile Prisse d'Avennes
Manuscrit NAF 20418
f.150 v -151
Paris, BnF
Nous nous sommes quittés mardi dernier, souvenez-vous amis lecteurs, devant ce buste d'Emile Prisse d'Avennes exposé à la droite de l'entrée de la salle 12 bis du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre.
Pour la petite histoire, et parce que l'on lit tout et n'importe quoi sur le Net à propos de ce marbre, j'aimerais très brièvement évoquer son parcours parisien.
Ce portrait fut commandé à Léo Roussel en 1889 par le Musée du Louvre, pour son département égyptien qui l'acquit en 1900.
Traversant les jardins du Palais royal, il partit un temps se reposer au Cabinet des Médailles de la Bibliothèque nationale (BnF).
En 1981, il est rapatrié au département des sculptures du Musée du Louvre.
Nouvelle sortie en 1986 : il franchit la Seine pour être affecté au Musée d'Orsay.
Et depuis 1999, il a (définitivement ?) réintégré le Louvre.
Avant que, de conserve, nous commencions mardi prochain à visiter l'exposition dédiée à
cet égyptologue français, je voudrais aujourd'hui, amendant un article que je lui avais consacré quand il s'était agi, en février dernier, d'introduire l'Enseignement de Ptahhotep,
esquisser un semblant de biographie professionnelle.
Achille Constant Théodose Emile Prisse d'Avennes (né à Avesnes-sur-Helpe, région Nord-Pas de Calais, en1807) n'a que 20 ans quand, après avoir combattu en Grèce dans les rangs philhellènes, puis vécu aux Indes pour honorer le poste de secrétaire du gouverneur général, il arrive à Alexandrie où il se joint à une théorie d'experts, ingénieurs comme lui, mais aussi techniciens, militaires et conseillers étrangers, essentiellement français, aux fins de participer, sous la férule du vice-roi d'Egypte Méhémet Ali, au redressement de l'économie et au développement général dans le sens d'une modernisation que ce dernier entend imprimer à son pays.
Même si cinq années auparavant, Jean-François Champollion découvrait le sens des hiéroglyphes, rien, au départ, ne destinait ce jeune ingénieur civil à s'intéresser véritablement à l'égyptologie : car ce ne sont que des propositions de travaux d'hydrographie - création d'un canal qui aurait dû relier Alexandrie au Caire, construction de ponts suspendus sur le Nil - que, dans un premier temps, il soumit au Pacha. Aucun de ses projets, en ce compris celui qu'il envisagea par la suite pour le transport, jusqu'à la Place de la Concorde, à Paris, de l'obélisque de Ramsès II que le souverain égyptien offrait à la France pour exprimer sa reconnaissance eu égard aux travaux philologiques de Champollion, n'eut l'heur d'aboutir.
Aussi, quand Méhémet Ali, entreprenant une restructuration de son administration, se
départ de nombre de Français qu'il avait pourtant généreusement accueillis, l'Avesnois saisit l'opportunité de "changer de vie" : à presque trente ans, Emile Prisse devient Edris Effendi ;
l'élégant jeune hydrographe du Nord va se muer en explorateur, en archéologue, en égyptologue et, vêtu tel un Oriental, parlant l'arabe, il décide de partir à la découverte à la fois de
l'Egypte antique et de la moderne.
De janvier 1836 à mai 1844, Edris Effendi que les travaux de Champollion ont
définitivement convaincu de rallier l'égyptologie naissante, sillonne le pays dans un esprit éminemment encyclopédique : certes, au premier chef, il s'intéresse aux vestiges pharaoniques mais
fait également la part belle à l'ethnographie, à l'anthropologie, à la minéralogie aussi, à la botanique, aux conditions de travail des autochtones arabes qu'il découvre et dont il admire la
civilisation et surtout son art.
Ce seront alors notes manuscrites, relevés, plans, croquis, calques, estampages, aquarelles, photographies de l'Egypte antique et de la contemporaine, pris in situ qui, huit années durant, matérialiseront à profusion ses déambulations du Delta à la Nubie et alimenteront par la suite des publications qui marqueront du sceau du progrès la balbutiante science égyptologique. Sans oublier de mentionner - apport non négligeable à l'Histoire littéraire -, que ses notes et dessins inspireront notamment son ami Théophile Gautier pour la composition, en 1858, de son Roman de la momie.
Et ce seront également la "Chambre des Ancêtres", du temple d'Amon-Rê à Karnak (E 13481 bis) ;
un fragment de linteau (E 13482 ter - Salle 25, vitrine 5) avec Amenhotep IV faisant offrande à Aton ; la stèle dite "de Bakhtan" (C 284 - Salle 12, deuxième partie),
ainsi qu'une superbe cuillère à fard (E 8025 bis - Salle 9, vitrine 3)
qui quitteront les rives du Nil pour, in fine, entrer dans les collections du Louvre.
N'oublions évidemment pas - je l'évoque régulièrement tous les samedis - dernier
élément mais non le moindre de la provende qu'il rapporta de son premier voyage : un rouleau de quelque 7 mètres de long désormais connu sous le nom de Papyrus Prisse - (et dont voici le premier
feuillet de l'Enseignement de Ptahhotep que, notamment, il contient) -,
qu'à son retour après 17 ans d'absence, il offrit à la Bibliothèque Royale. Dans ce qui est aujourd'hui devenu la Bibliothèque nationale de France, sur le site désormais appelé Quadrilatère Richelieu (entrée principale : 58 rue de Richelieu), il figure dans les collections du Département des Manuscrits (division orientale), sous la référence Egyptien 183-194.
C'est là que nous l'y rencontrerons après les vacances, à la fin du mois d'août ...
Pour Prisse d'Avennes, le retour au pays natal s'éternisa 14 ans durant. Quatorze années pendant lesquelles il n'eut de cesse de préparer et mettre au point l'édition de certaines de ses nombreuses notes manuscrites. Sans oublier la création d'un fac-similé de "son" papyrus.
Il s'occupa bien évidemment de reconstituer la "Chambre des Ancêtres" qu'il avait également offerte à l'époque à la Bibliothèque royale ; monument désormais au Louvre et que je me propose de vous faire découvrir lors de nos prochains derniers rendez-vous de juin ...
Enfin, en juin 1858, obtenant des subsides du ministère de l'Instruction publique pour mener à bien de nouvelles recherches archéologiques et d'autres du ministère du Commerce en vue d'étudier de possibles débouchés pour l'industrie française, il retourne en Egypte, deux seules années cette fois, muni d'une triple mission : scientifique, artistique et, forcément, commerciale.
Un jeune photographe parisien, Edouard Jarrot (1835-1873) et un tout aussi jeune peintre flamand, lointain parent de Prisse, Willem de Famars Testas (1834-1896), l'accompagnent. Leurs activités tant en Egypte qu'en Nubie fut considérable : j'en veux pour preuve l'immense production de dessins, de calques, d'estampages et de photographies que les trois hommes ramenèrent et dont l'exposition de la BnF se voulut un excellent et très intéressant reflet.
Riche de ce précieux fonds qu'après le décès de son mari en janvier 1879 madame Prisse d'Avennes lui légua, la BnF put ce printemps s'enorgueillir d'avoir mis sur pied, conjointement avec le Musée du Louvre, une remarquable exposition qui, malheureusement, ne sembla pas vraiment attirer les foules parce que, probablement, pas suffisamment "spectaculaire", mais eut au moins le mérite de nous permettre de mieux appréhender cet homme incroyablement prolixe que fut Emile Prisse d'Avennes.
A mardi donc, 21 juin, pour ensemble, amis lecteurs, nous retrouver
ici même, salle 12 bis du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre.