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Le charmant petit monstre

Par Thibault Malfoy

Vous recevez une carte postale de la Côte d’Azur. Au recto : un paysage méditerranéen se balance tranquillement au gré du vent, hésite entre la pénombre des persiennes et la chaleur blanche des terrasses qui donnent sur la mer, toute proche, là-bas. Au verso : deux mots, un vers de Paul Eluard : Bonjour tristesse.

Premier roman, énorme succès : Françoise Sagan fait scandale (on est en 1954). Par sa frivolité assumée, ce « charmant petit monstre » défraie la chronique. Ce court roman est un précipité saganien : plaisir, vitesse et nonchalance.

Cécile, dix-sept ans, vit avec son père depuis sa sortie du pensionnat deux ans plus tôt. Les deux mènent une vie pétillant de plaisirs faciles et d’amours éphémères. Cet été, ils passent les vacances dans une villa louée en compagnie d’Elsa, la dernière maîtresse de ce père volage, un concentré de vacuité, mais si jeune, si belle. Bientôt, une amie les rejoint : Anne. Intelligente, subtile, sérieuse… et encore jolie. L’engrenage se met à tourner, lentement puis s’emballe. La fin est fatale. Cécile en aura été le metteur en scène.

L’histoire s’enchaîne en courts chapitres qui mettent en place un à un les éléments du drame qui se noue sous nos yeux dans cette villa blanc sur bleu : « Nous avions tous les éléments d’un drame : un séducteur, une demi-mondaine et une femme de tête. » Bien que prévisible dans son déroulement, elle n’en reste pas moins prenante par la tension psychologique qui s’installe petit à petit, étire le temps et inéluctablement le déchire :

L’élastique claque

et le tonnerre éclate

après que l’orage ait grondé,

augure muet.

dit le critique qui ne sait plus quoi faire pour tourner sa critique.

Françoise Sagan lance de belles images, on en oublie la carte postale cliché. Parfois, elle démontre plus qu'elle ne montre, et c'est dommage, car sa frivolité l'oblige à attaquer par petites touches, de biais. Dès qu'elle s'éloigne de cette technique, elle patine, mais c'est si rare qu'on lui pardonne. Par contre, elle donne très bien à voir les états d'âme d'une adolescente qui découvre et l'amour et la perversité de la logique appliquée au jeu social : c'est elle qui tire les ficelles, l'une cassera. Plus que l'adolescence, c'est une époque que ce livre évoque, où les moralistes tentent encore de resserrer l'étau autour de ces mœurs qui s'ébrouent avec impatience dans l'attente de mai 68.

  • Bonjour tristesse, Françoise Sagan, Pocket, 3,80 €.

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