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Opéra Imaginaire : Acte II

Par Etrangere
     En général, mes coups de cœur artistiques sont le résultat d’une rencontre totalement fortuite avec une œuvre qui, pour une raison inconnue, parvient à m’envoûter. Dans sa splendeur, l’Art prétendument universel parvient à être subjectif  au travers de ma personne : c’est là sa force la plus redoutable, et sa plus grande faiblesse. Néanmoins, je me rends compte depuis un certain temps que cette sorte d’enchantement arrivé brusquement peut tout aussi rapidement être brisé. Encore une fois, les notions subjectives telles que l’état d’esprit du spectateur, son expérience, ses affinités nouvelles… rendent son cœur instable, et ont une grande influence sur sa perception des choses. 
   Je sais ainsi que dans votre entourage, au moins une personne a déjà lancé des piques du genre : "Mais je ne vois pas pourquoi tout le monde est en extase devant la Joconde ! Elle est même pas belle!", ou  encore, un proche critiquant certains artistes avec véhémence, le plus souvent lorsqu'il s'agit d'Art contemporain d'ailleurs. Qui n'a jamais entendu  : "Picasso, c'est tellement bête, c'est super mal fait, même mon gamin il peut faire ça !"???    Alors, comment est-il possible que certaines œuvres nous touchent, d'autres non ? Est-il possible d’avoir une « relation » durable avec une œuvre ? La question ici devient presque subsidiaire à celle que l’on se pose en rencontrant une personne, c’est-à-dire : comment faire durer la flamme ? Tentative de réponse aussi maladroite que sincère ici, avec cet « Opéra imaginaire » qui plus que tout autre chose a réussi à me convaincre que chacun a droit à une seconde chance…
   Je devais bien avoir cinq ou six ans lorsque ma mère est arrivée à la maison avec un sac rempli de cassettes et de livres, en provenance directe de la médiathèque la plus proche. Ma sœur et moi nous sommes immédiatement jetées dessus, avec toute l’impatience de jeunes enfants avides de nouveaux jouets. Parmi les divers emprunts, une cassette a attiré notre attention. « C’est une cassette avec des petits dessins animés et une très jolie musique. Vous savez, on a déjà parlé de l’Opéra, avec ces chanteurs aux voix très puissantes et qui se produisent dans les théâtres … » nous rappela brièvement maman. Ni une, ni deux, la cassette fut insérée dans le lecteur. Nos yeux néophytes posés sur l’écran, nous guettâmes, fébriles, la suite des événements. Un bonhomme dodu en images de synthèse, vêtu avec élégance, nous salua et se présenta comme le directeur d’un Opéra. Il nous  proposa d’un ton sans réplique de visiter son établissement. 
Opéra Imaginaire : Acte II
Le rideau se leva et laissa apparaître un artiste de cirque, en proie à une terrible peine, et habilement recréé en pâte à modeler. Il venait d’apprendre que sa femme le trompait. Mon cœur de petite fille fut attristé. Je voyais ce pauvre clown (un auguste, il me semble) se débattre avec son inextricable peine et sa grandissante envie de vengeance. Le clown entra en piste, armé de couteaux. Sa femme l’attendait, attachée en tant que cible humaine. Le clown lui jeta un regard chargé de sens.Je pâlis. J’avais compris ce qui allait se passer. Avec que j’aie eu le temps de fermer les yeux, l’impitoyable vengeur venait d’envoyer l’arme blanche en plein cœur de sa compagne infidèle. Le sang, pâte à modeler rouge, jaillit immédiatement. Puis, ce fut au tour de l’âme de la morte. J’étais en état de choc, si bien que je ne retins presque rien d’autre de la cassette que cette image horrible de meurtre en public. J’avais poussé le vice jusqu’à m’acoquiner dangereusement avec la notion de coulrophobie (peur panique des clowns). Et ce n’était que le début…

Opéra Imaginaire : Acte II

(Désolée pour la piètre qualité, mais il s'agit sans doute de l'image la plus proche de celle qui m'est restée en mémoire.)


Il ne se passa pas quelques jours, que j’étais déjà en route pour le théâtre, afin de voir une pièce du chorégraphe Roland Petit : La Chambre. Unballet policier. Oui, oui, un vrai policier. On a bien tort de croire que le ballet n’est qu’un monde enchanté avec des princesses, des fées, et tout ce "tralala". (A ce propos, je vous ferai prochainement un billet sur Fall River Legend, un autre ballet pour le moins... inhabituel). Mon père dansait le rôle de l’inspecteur de police,(oui, mes parents font partie du monde de la Danse), dépêché pour résoudre un meurtre. Le ballet s’ouvrait par la découverte du cadavre. Une voisine entrait, et lançait un cri suraigu. Cet hurlement avait le mérite, en plus de percer les tympans des spectateurs des trois premiers rangs, d’être absolument terrifiant. Aujourd'hui, j'admire cette danseuse pour sa tessiture irréaliste. Il paraît qu'elle avait dû suivre un vrai coaching pour le réussir...
Bref, l’assassin se révélait être une jeune femme tout à fait charmante, et séduisante .C’est  tout du mois ce que je pensais, jusqu’au moment où ladite criminelle enfonça un couteau en pleine poitrine de l’inspecteur et, par la suite des choses, de mon père. Dès la fin du ballet (marqué par la récidive de l’abominable cri de terreur à la vue du cadavre de MON papa), ma sœur et moi suppliâmes notre mère de nous emmener voir s'il était était bel et bien vivant. Nous refusâmes catégoriquement de rentrer à la maison sans cela. Il fallait impérativement que nous l’eûmes vu en bonne santé. Ma mère, exaspérée par la situation, finit par nous emmener en coulisses, pour nous montrer qu’effectivement, notre père n’était pas un lémure avec un couteau dépassant de sa poitrine. Même si le lien entre les deux livrets des deux représentations paraît faible, toutes deux présentaient tout de même des ressemblances de jeu scénique assez frappantes : amour-haine, meurtre, son strident reconnaissable (à l'époque, l'enfant que j'étais ne percevait pas encore parfaitement la différence entre les aigus d'opéra et les cris suraigus de panique. Je sais, j'ai honte.)  Quoi qu'il en soit, cet épisode ne fit que renforcer ma haine envers la pauvre cassette de l’« Opéra imaginaire ». 
Opéra Imaginaire : Acte II

   Et puis, courant de ce mois, je tombai par hasard, et au gré de mes flâneries world-wild-web-iennes, sur une vidéo délicieuse, et ce dans tous les sens du terme. Il s’agissait d’une animation en pâte à modeler présentant de petits personnages qui se transformaient et finissaient par habiller un gâteau de diverses fleurs sucrées et meringues alléchantes. Un régal visuel, et surtout sonore, puisqu’il était accompagné par le célébrissime cœur de La Traviata de Verdi. Et, en-dessous un libellé indiquait la provenance de l’animation : « Opéra Imaginaire ». Je me précipitai sur les liens URL des autres vidéos. Le tout était magnifique, poétique, parfois drôle, parfois émouvant, mais extrêmement subtil et séduisant.  Madama Butterfly, Faust, Lakmé et bien d’autres me parurent être de petits bijoux du genre, égalant la Fantasia de Disney, bien que s’inscrivant dans une veine totalement différente.    Enfin, je finis par me retrouver nez à nez avec le clown. LE fameux clown. Et, contre toute attente, j’ai apprécié. Énormément, même. Il n’y avait plus le choc, ni la peur enfantine qui avaient fait naître cette aversion profonde que j’avais à l’égard de cette vidéo. Il n’y avait plus que la puissance de l’œuvre, et sa signification. Pour ceux qui n'en auraient pas connaissance, ou qui n'auraient pas deviné le titre suite à mes explications approximatives, il s'agit de Pagliacci.         Je vous recommande donc chaudement cette cassette, dont de nombreuses vidéos sont mises à disposition sur Youtube, afin de juger par vous-même de la qualité des animations, certes pas tant techniques (même si c'est encore loin d'être honteux aujourd'hui) que poétiques (trouvailles de mise en scène, d'interprétation). 
   Oh, et tant que j'y suis : pour les feignants ne voulant pas cliquer sur les liens URL - je ne vous jette pas la première pierre, je le fais aussi - voici les extraits de la cassette que j'ai sélectionnés spécialement pour vous. Ce sont eux qui, sans conteste, valent le détour.
 Celui-ci, car que c'est par lui, avec lui et en lui que tout a commencé...
 Et celui-ci, pour son côté poétique, ses références aux estampes japonaises, et au Baiser de Klimt...  Et le petit dernier, mais non des moindres, puisqu'il s'agit de "E lucevan stelle", de Tosca :
   Quant à moi, il m’apparaît à présent que l’attachement le plus sincère est créé par la chose même qui peut tout vous ôter, jusqu’à vos dernières illusions : l’attente, ou plutôt son manque. Lorsque l’on n’attend rien d’une œuvre, alors on se laisse surprendre et charmer par ce qu’elle a de mieux à nous offrir, tout en sachant d’ores et déjà que ce ne sera pas la perfection même. Inutile donc de préciser que les gens attendant de voir, en contemplant la Joconde, une femme d'une beauté irréelle, aux yeux sortant (littéralement) du cadre, auréolée par  une lumière céleste et entourée d'un cœur d'angelots chantant ses louanges, seront déçus.   
L’esprit ouvert, libre de tout avis préalable, est ici un atout clé. Voilà ce que l’acte II m’a appris.
Et vous, quelles sont vos affinités avec l'Art ? Faites-vous partie des détracteurs de certains types d'expression ? Pourquoi ? Et sinon, une œuvre vous a-t-elle spécialement marquée ? Je suis curieuse...

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