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Trafic de drogue : l’Afrique de l’Ouest n’est ni la Colombie, ni le Mexique mais…

Publié le 20 juin 2011 par Africahit

L’Afrique est devenue une importante plaque-tournante du trafic de cocaïne et, depuis plusieurs décennies, d'autres drogues. L'arrivée massive de l’argent des stupéfiants pose une nouvelle fois le problème de la corruption (classe politique, justice, police) et de la faiblesse de l’Etat de droit dans beaucoup de pays africains, comme dans d'autres régions, telles l'Amérique latine, les Balkans ou l'Asie du Sud. Je vous livre ici des informations et analyses sur ce phénomène qui menace la stabilité du continent et sur le trafic de drogue dans le reste du monde. Antonio Mazzitelli Copyright Tous droits réservés par Mariachi Films

Pour Antonio Mazzitelli, représentant de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) au Mexique et ancien représentant régional à Dakar, l'Afrique de l'Ouest est encore loin de connaître la situation de la Colombie et du Mexique, profondément gangrénés par la drogue, mais des risques réels de déstabilisation à cause du trafic existent. 

Trafic de drogue : l’Afrique de l’Ouest n’est ni la Colombie, ni le Mexique mais…

Depuis que les routes africaines de la cocaïne ont pris de l’ampleur, au milieu des années 2000, la question est lancinante. Y-a-t-il des narco-Etats en Afrique ? Avec l’accroissement des quantités de drogues dures (cocaïne, héroïne, méthamphétamine) transitant par la région, certains Etats africains peuvent-ils connaître des situations similaires à celles de la Colombie et du Mexique ? Dans un long article, paru aux Etats-Unis dans la revue du Western Hemisphere Security analysis center de l'université de Floride, Antonio Mazzitelli revient longuement sur la genèse du phénomène en Afrique de l’Ouest et tente de répondre à ces interrogations.

Antonio a été, pendant plusieurs années, le représentant de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), en Afrique de l’Ouest. Avant cela, il fut un poste en Iran, au Nigéria, aujourd’hui, il est au Mexique, un pays aujourd’hui déstabilisé par les cartels de la drogue. Bref, il est l'un des rares à connaître parfaitement la situation de part et d'autre de l'Atlantique. 

Des différences importantes

A ses yeux, les situations du Mexique, de la Colombie et de l’Afrique de l’Ouest sont très différentes. « La Colombie et le Mexique ont construit leur industrie de la drogue sur des réseaux préexistants qui cultivaient et exportaient ou trafiquaient », indique-t-il dans son article. Dans le cas de la Colombie, précise Antonio Mazzitelli, « le boom de la cocaïne a été construit sur l’industrie de la marijuana et ceux qu’on appelle les « marimberos » [trafiquants de marijuana]de la côte Caraïbe ». Pour ce qui concerne le Mexique, ajoute-t-il, « le trafic de cocaïne a pris le pas sur des réseaux déjà existants développés par les organisations mexicaine de trafiquants de drogue qui étaient spécialisées dans la production de marijuana et d’héroïne (black tar) menée par des générations de « gomeros » [nom donné aux premiers trafiquants au Mexique],  principalement dans l’Etat de Sonora ». En Afrique, la marijuana est certes cultivée, comme dans de nombreuses régions dans le monde, mais ni la coca, ni le pavot ne le sont.

Selon Antonio Mazzitelli, les acteurs clés du trafic de drogue n’ont, en outre, pas le même profil en Afrique de l’Ouest qu'au Mexique et en Colombie. « Alors qu’en Afrique de l’Ouest, les principaux acteurs du trafic de drogue sont liés à l’élite, au Mexique et en Colombie, les grandes figures du trafic de drogue viennent de milieux populaires et ont bâti leur carrière sur leur compétence criminelle plutôt que sur une richesse préexistante ». Autrement dit, se risque à dire Mazzitelli, alors qu’en Colombie et au Mexique le trafic de drogue est « à l’image de la transition sociale et économique de sociétés nationales vers le libre marché et une forme de démocratie », en Afrique de l’Ouest, le trafic de drogue a surtout bénéficié « aux mêmes élites qui monopolisent les opportunités économiques nées de l’intégration des économies ouest-africaines au marché mondial ».

FARC et AQMI

Autre comparaison intéressante : celle de la participation et du rôle des groupes terroristes au trafic de drogue. Là aussi, estime Antonio Mazzitelli, les situations diffèrent. « En Colombie, les rebelles des FARC [Forces armées révolutionnaires de Colombie] et les groupes paramilitaires ont bénéficié du contrôle de la production. Du coup, leur implication directe dans le trafic est venue dans un deuxième temps et comme conséquence naturelle de leur contrôle sur la matière première et les marchés qui sont liés ». Dans la bande sahélo-saharienne, en revanche, les terroristes et les groupes rebelles se contentent de capitaliser « sur leur capacités logistiques et leur contrôle du territoire, et ils monnayent leurs services avec les trafiquants (et éventuellement leur fournissent des armes) ».

Antonio Mazzitelli rappelle également qu’il n’existe pas de structure de type mafieuse en Afrique de l’Ouest, si l'on entend par mafia « un groupe organisé qui cherche à contrôler illégalement la production, la fourniture et la distribution d’un produit ou d’un service »*. En revanche, les organisations criminelles nigérianes, à la fois très décentralisées et multicartes (drogue, prostitution, arnaques…), constituent, estime Antonio Mazzitelli, un « nouveau modèle réussi de réseau criminel organisé ».

Guatemala, Honduras et Jamaïque : des similitudes avec l’Afrique de l’Ouest

« Comme en Afrique de l’Ouest, des organisations criminelles (colombienne et mexicaine) ont établi des bases opérationnelles pour stocker de grosses quantités de cocaïne destinées aux marchés nord-américains au Honduras et au Guatemala, ont infiltré les institutions et ont développé des alliances avec des membres des establishments économiques et politiques », indique Antonio Mazzitelli. En revanche, remarque-t-il, le paysage criminel de l’Afrique de l’Ouest diffère de ceux du Honduras et du Guatemala, où des gangs défient les institutions, notamment les fameux maras, filmés par le réalisateur franco-espagnol Christian Poveda, assassiné en 2009.

« L’expérience de la Jamaïque dans le transit de cocaïne, dès les années 80, offre un exemple de ce que pourrait connaître l’Afrique de l’Ouest du fait de l’émergence de petits gangs de trafiquant de cocaïne », souligne Antonio Mazzitelli, en faisant référence à Christopher « Dudus » Coke, un baron de la drogue extradé l’année dernière de Jamaïque, au terme de violents affrontements dans un quartier de Kingston, la capitale.

Antonio Mazzitelli rappelle que le Guatemala, le Honduras et la Jamaïque figurent parmi les pays ayant le plus fort taux de criminalité dans le monde, en lien avec le trafic de drogue. L’Afrique de l’Ouest n’en est pas encore là, mais le représentant de l’ONUDC au Mexique, rappelle que l’Afrique de l’Ouest a déjà connu des guerres civiles nourries par le contrôle des revenus du pétrole, de l’or ou du diamant. « Se focaliser sur le trafic de drogue ne doit pas faire oublier le cœur des problèmes de l’Afrique de l’Ouest : la corruption, l’impunité, et l’érosion progressive d’une culture de respect de la légalité et des institutions étatiques »,conclut notamment Antonio Mazzitelli.

*Définition citée par Antonio Mazzitelli, de Antide Federico Varese (Organized Crime-Critical Concepts in Criminology, Oxford University Press, 2010)


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