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Les intellectuels faussaires par P. Boniface

Publié le 21 juin 2011 par Egea

Il y a, chez certains auteurs, un plaisir manifeste à déplaire et à provoquer : non qu’ils veuillent la polémique pour elle-même, mais ils acceptent, de temps à autres, de défier l’air du temps.

Les intellectuels faussaires par P. Boniface
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Cette attitude, on la retrouve dans le dernier ouvrage de Pascal Boniface, à son habitude homme mesuré mais qui, cette fois, enfourche la monture de la controverse et, tel Don Quichotte, veut rompre des lances contre des moulins : mais il s’agit ici de moulins à paroles que l’auteur, point si illusionné que notre chevalier espagnol, dénonce pour être des artifices et des faux-semblants.

Le lecteur français aura suivi la dispute récente sur la « domination médiatique » de quelques « intellectuels » et journalistes, soupçonnés de se répandre partout et d’insuffler un tour radical et décomplexé au débat public : les Eric Zemour, J.-M. Apathie, Elisabeth Levy, Ivan Rioufol (si j’ai bien retenu la liste qui varie, il faut le dire, d’un journal à l’autre) exerceraient un magistère inconvenant. Pascal Boniface n’instruit pas ce procès-là, du moins pas exactement : car en fait, il critique certains « intellectuels » qui n’en sont pas et prennent des libertés avec la vérité, tout en occupant une domination médiatique qui n’a rien à envier au quatuor précédemment évoqué.

P. Boniface se concentre dans un champ qu’il connaît, celui des relations internationales et de la géopolitique : c’est d’ailleurs à ce titre que je chronique ce livre. Dans une courte première partie, il décrit les mécanismes qui permettent à ces « faussaires » d’exercer leur autorité et leurs discours commun : l’utilisation de la figure de l’intellectuel (on est loin du débat entre Julien Benda et Paul Nizan, rappelé par l’auteur : on est loin également de Voltaire et voire de Sartre, pour tout dire, qui avaient quand même une œuvre), la pratique de la nouvelle médiacratie pour s’imposer, la posture morale (moralisatrice et, pour tout dire, ressemblante à une vraie censure), l’apologie d’un monde occidental menacé selon une lecture huntingtonienne, la défense d’Israël, l’abus du concept d’islamo-fascisme pour critiquer l’islam et attiser les peurs.

Mais le plus percutant (le plus amusant) réside dans la deuxième partie, où se succèdent une série de courts portraits au vitriol de ces « faussaires ». Les titres valent le déplacement à eux seuls : « Alexandre Adler, les merveilleuses histoires de l’oncle Alexandre » (et cette drôlissime saillie : « Il est d’une très grande fidélité politique. Ainsi, depuis 1981, il a toujours été en faveur de la majorité présidentielle » p. 95) ; « Caroline Fourest, sérial-menteuse » ; « Mohamed Sifaoui, pourfendeur utile de l’islamisme » ; « Thérèse Delpech, Madame Tapedur » ; « Frédéric Encel, un homme d’influence » ; « François Heisbourg, qui paye la musique choisit la partition » ; « Philippe Val, de Léo Ferré à Torquemada » ; « BHL, le seigneur et maître des faussaires ».

C’est souvent drôle, toujours documenté, et on lit ça avec intérêt, d’autant que plusieurs fois, par le passé, on s’était demandé comment tel ou tel pouvait soit varier d’opinion à ce point, soit proférer des bêtises plus grosses que l’enflure dont ils étaient revêtus.

S’agissant de BLH, dit le maître de Botul (vous savez, ce faux philosophe auteur d’un pastiche, à savoir une thèse paraguayenne sur Kant, et que notre grand ordonnateur avait cité sans sourciller, c'est-à-dire sans rien vérifier), il agace tellement que malgré sa puissance médiatique, il n’a pas de succès : rien là de bien nouveau. Tout juste apprend-on que BHL est chef d’entreprise, héritier d’une société d’exploitation du bois africain.

Pascal Boniface est visiblement un homme de gauche, de la gauche traditionnelle, pourrait-on dire. A ce titre, il est plutôt compréhensif envers le côté palestinien du conflit du Proche-Orient. Du coup, il s’élève contre les tenants de la position israélienne : c’est un des soubassements de son livre, puisque la plupart de ses cibles en font justement partie. Autant dire qu’il arrive avec un tison enflammé dans la poudrière du débat, immanquablement partisan, de ce conflit israélo-palestinien. Nul doute qu’il va se faire des ennemis, beaucoup d’ennemis, et des ennemis puissants : il y a une sorte de témérité à le faire à la façon d'un Léon Bloy.

On retrouve là le plaisir manifeste à déplaire et à provoquer par lequel nous avions commencé. Nul doute que le scandale est recherché, car il fait désormais partie du théâtre intellectuel, et de la scène médiatique que nous observons désormais et qui tient lieu de débat. En cela, Pascal Boniface n’est peut-être pas si téméraire qu’il y paraît : scandaliser, c’est exister, selon le nouvel existentialisme en vogue.

Le spectateur que je suis regarde cela avec une certaine curiosité : pourtant, on est un peu loin du fond des choses qui devrait seul retenir notre attention ; C’est l’inconvénient des pamphlets. Mais ils sont faits pour distraire, en fait.

« Les intellectuels faussaires », Le triomphe médiatique des experts en mensonge

  • Pascal Boniface
  • J .-Cl. Gasewitch éditions, mai 2011.

Blog P. Boniface

O. Kempf


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