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Peste, Palahniuk au paroxysme de sa géniale folie

Par Christophe Greuet

« Tout ce que vous avez entendu sur Peste est vrai ». Le slogan qui faisait fureur dans les années 80 pour lancer des films controversés est on ne peut plus pertinent pour résumer Peste, le nouveau livre de Chuck Palahniuk. Encore commotionnés, deux ans après la lecture du stupéfiant A l’estomac, les lecteurs du plus déjanté des auteurs américains doivent replonger dans l’univers tordu et diabolique de l’écrivain. Après Fight club et Choke, son nouveau roman est en effet l’un des opus les plus dangereux pour la santé mentale que l’auteur ait jamais commis.


Qui est vraiment Buster Casey, surnommé Rant ? Dans un futur proche, la société a strictement divisé ses sujets entre diurnes, individus respectables vivant le jour, et nocturnes, une sous-classe regroupant tous les marginaux et classes défavorisés. Sous ce joug, les hommes ont besoin de personnages emblématiques auxquels se raccrocher. Rant est l’un de ceux-là, sauf qu’il s’agit d’un diable incarné. Dès l’enfance, le petit Buster est en proie à des pulsions d’une violence inouïe. A l’adolescence, il se fait volontairement inoculer la rage par des animaux sauvages, eux-mêmes atteints. La raison ? Rant a remarqué que les effets secondaires de la honteuse maladie améliorent ses performances sexuelles. Un plaisir qui va avoir des effets dévastateurs sur la population. Peu à peu, Rant déclenche la plus grande épidémie de rage que l’homme ait jamais connu. Sauf que Buster est, peut-être, un mythe créé de toutes pièces par des opprimés en quête de héros…
Comme s’il s’était fixé un défi, Palahniuk a quasiment anéanti les tentatives de résumé pour ce nouveau roman. Par la forme, avant tout : plutôt que la traditionnelle structure romanesque, l’auteur choisit ici de travestir son livre en biographie, via un construction relativement rare dans l’histoire de cet exercice. On parlera ici de biographie orale, qui consiste à citer les réactions de chacun des intervenants face à un sujet donné, en affranchissant l’auteur du texte de toute intervention. Il a été utilisé outre-Atlantique au début des années 80 par Jean Stein et George Plimpton pour Eddie : american girl, une célèbre bio inédite en France de Eddie Sedgwick, la muse du pop-art. Plus récemment, Gilles Poussin et Christian Marmonnier ont mis en œuvre cette construction pour raconter la genèse du magazine Métal Hurlant. Réduisant à néant toute intervention de l’auteur, cette écriture bien particulière est un vrai tour de force lorsque elle est utilisée pour une fiction.
Reste le fond. Bien que sorti en janvier, Peste restera à coup sûr comme l’un des ouvrages les plus diaboliquement foisonnants de l’année. Tous les grands sujets et débats de la société actuelle y sont abordés, dans leur acception la plus extrême : écologie, flicage des individus, déviances sexuelles, cultes improbables,… Et comme si ce n’était pas assez, Palahniuk offre à son livre un dernier quart qui outrepasse la légère science-fiction qui habite le reste de l’histoire. Voyages dans le temps et croyances mystiques sont au menu de la partie la plus délirante du livre qui est aussi, malheureusement, de loin la moins réussie.
Dépassant tous les excès au risque de s’y brûler les ailes, Palahniuk livre avec Peste son meilleur ouvrage depuis longtemps. On regrettera simplement que l’auteur n’ait pas su retenir, au dernier instant, la folie de sa plume. Et ainsi cassé quelque peu le malaise provoqué par ce sombre tableau grand-guignolesque.


« Peste » de Chuck Palahniuk, Ed. Denoël, 440 pages, 21 €


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