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L'Hibiscus pourpre, de Chimamanda Ngozi Adichie

Par Liss
L'Hibiscus pourpre, de Chimamanda Ngozi Adichie
Voici une lecture que vous aurez du mal à quitter une fois que vous l'aurez commencée, un de ces romans dont vous tournez les pages avec autant de fébrilité, tellement vous ête impatient d'en être au chapitre suivant, que de crainte d'arriver bientôt à la fin, or vous ne voulez pas que ce soit "la fin". C'est avec beaucoup de regret que je suis arrivée à la dernière page de L'Hibiscus pourpre, un roman d'une telle puissance narrative que le lecteur a envie d'intégrer l'histoire, afin de se retrouver aux côtés des personnages, soit pour les réconforter, soit pour leur dire leur fait, en particulier au père de l'héroïne, Eugène.  
L'Hibiscus pourpre, de Chimamanda Ngozi Adichie
C'est un homme riche, connu, respecté de tous pour de multiples raisons : tout d'abord son argent le met au rang des "puissants" : à la tête de plusieurs entreprises, il sait faire profiter à ceux qui sont dans le besoin  son immense richesse : employés, voisins, inconnus... Ses dons multiples à des institutions comme Eglises, écoles, hopitaux ne se comptent pas. Il dit le faire au nom de Dieu, car s'il est riche, c'est une bénédiction de Dieu. Naturellement, un homme qui fait du bien autour de lui et dont on peut obtenir davantage est traité avec tous les égards. Il est aussi respecté, voire admiré parce que, directeur d'un journal, il se sert de celui-ci comme d'un instrument de dénonciation de la corruption et des abus du pouvoir ; même menacé, il continue d'oeuvrer pour la démocratie, la liberté de parole.
Vu de l'extérieur, c'est un homme riche, influent, généreux, équitable, instruit, d'une grande piété, exigeant avec les siens... Vu de l'intérieur, ce tableau honorable prend des formes monstrueuses. Comment un homme aussi religieux peut-il se comporter d'une manière aussi tyrannique chez lui ? Comment, lui qui distribue généreusement son argent à tous ceux qui viennent frapper à sa porte, peut-il être aussi peu charitable quand il s'agit de son père ou de sa soeur, ceux-là même qui devaient être les premiers à profiter de son aisance ? C'est qu'ils ont le tort de ne pas être aussi méticuleux que lui quand il s'agit des lois de l'Eglise. Son père n'est d'ailleurs pas du tout chrétien, continuant à s'adresser aux ancêtres plutôt qu'au Dieu de cette nouvelle religion apportée par l'homme Blanc et qui leur enjoint d'abandonner toutes les pratiques traditionnelles.
Eugène applique la religion d'une manière aveugle, sans discernement, il s'attache à la forme sans se soucier du fond. Il pratique ce que je pourrais appeler une religion de l'extérieur, une religion d'apparat. Et pour cela, il est le plus zélé des fidèles. Il ne se gêne pas par exemple pour faire le "flic", surveillant tous ceux qui ne vont pas communier et les dénonçant au prêtre pour que celui-ci se rapproche du ou des "pécheurs". Mais il ne s'attend pas à ce que son propre fils refuse de communier, un acte à travers lequel celui-ci exprime sa révolte contre ce père qui les a élevés comme s'ils se trouvaient dans un régiment militaire. La foi, pratiquée d'une manière qui ne s'intéresse pas à ce qu'éprouve l'être dans son coeur, le dégoûte.
Le récit commence donc par une sorte de séisme familial. Alors que tout était réglé d'une main de fer par un chef de famille qui inflige au besoin des punitions corporelles insupportables (j'en ai parfois eu les larmes aux yeux) à sa maisonnée, femme y compris, le fils, Jaja, 17 ans, signifie à ce dernier la fin de l'obéissance craintive. Le récit est fait par la soeur de Jaja, Kambili, qui raconte, dans la fraîcheur de ses 15 ans, l'avènement de cette fin du monde dans sa famille. C'est une histoire d'amour et de souffrance mêlés. 
La naïveté du ton pointe avec encore plus d'acuité les contradictions du père, sa servilité face au Blanc, les hommes religieux en particulier. On peut le voir par exemple dans l'extrait suivant. La famille est allée passer Noël dans la maison qu'ils posssèdent dans l'arrière-pays. A leur arrivée, L'Igwe, autrement dit le chef du village, va leur rendre visite, pour leur souhaiter la bienvenue.
"Mama l'avait salué selon la coutume traditionnelle pour les femmes, en se courbant jusqu'à terre et en lui présentant son dos pour qu'il puisse le tapoter avec son éventail fait d'une queue d'animal douce et de couleur paille. Ce soir-là, en rentrant à la maison, papa avait dit à Mama que c'était péché. On ne s'incline pas devant un autre être humain. C'était une tradition impie de s'incliner devant un Igwe. Aussi, quelques jours plus tard, quand nous étions allés voir l'évêque à Awka, je ne m'étais pas agenouillée pour embrasser sa bague. Je voulais que papa soit fier de moi. Mais papa me tira l'oreille dans la voiture en me disant que je n'avais pas de siscernement : l'évêque était un homme de Dieu, l'Igwe un simple dirigeant traditionnel."
(L'Hibiscus pourpre, page 112)
Ce roman montre l'affrontement ou plutôt le pont nécessaire à établir entre les croyances, les pratiques ancestrales et le christianisme apporté par le Blanc, entre la tradition et la modernité, entre la religion de l'extérieur et celle du coeur. Il soulève bien d'autres questions : la fuite des cerveaux à l'étranger, le célibat des prêtres, l'éducation des enfants, la réussite scolaire, les langues que l'homme hiérarchise, le bonheur... C'est quoi, le bonheur ? Ce peut-être simplement de voir fleurir un hibiscus dans tout son éclat.
Alors qu'ils se trouvent dans la plus grande abondance, deux enfants, Jaja et Kambilie, souffrent pourtant le martyr. Le sourire, le rire, l'expression des sentiments, l'espression orale tout simplement sont des choses qu'ils ne découvriront que plus tard, près de Tatie Ifeoma, leur tante paternelle. L'histoire se déroule entre Enugu et Nsukka, villes du Nigéria.
Chimamanda Ngizi Adichie, L'Hibiscus pourpre, 2003. 2004 pour la traduction française.

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