Publié en 1983, 6 ans avant Stone Junction, L'Oiseau Canadèche en est le brouillon métaphysique. Loin de toute figure de style, c'est la cellule souche d'un monde immense que Dodge a sans doute un peu trop fait traîner dans son gros pavé alors qu'ici, dans la fine couche d'une centaine de pages, tout prend place sans à-coups & couvre, emplit l'énormité de nos désirs d'histoires. C'est que Jim Dodge a réussi le tour de passe-passe parfait : conte rupestre du Grand Ouest, L'Oiseau Canadèche est aussi un roman d'apprentissage (le plus petit du monde à ce que j'en sais), une esquisse naturaliste, un traité pratique sur l'éducation aviaire, une frise western de poche (le duel n'est pas tout à fait de même nature que ceux qui nous ont fait trembler dans le magnifique Warlock & le saloon se fait à la maison, par contre, on a un indien mort, une partie de poker, du bourbon, des clôtures plantées dans la Grande Prairie...). L'Oiseau Canadèche c'est enfin un éclat furtif qui, l'air de ne pas y toucher, guinche l'un des mythes les plus imposants de la littérature américaine car, en partant sur les traces de Cloué-Legroin, sorte de sanglier bigger than life responsable de la mort d'un de ses chiens & de l'apparition « magique » de Canadèche, Titou s'est trouvé un Moby Dick à sa taille & choisit de se perdre à la manière d'un Achab miniature. Du coup pépé Jake finira bien par mourir un de ces quatre, mais ça n'est pas grave, on en a eu largement pour notre pop-corn & en plus on pourra y revenir sans avoir la flemme. C'est pas comme si c'était les Frères Karamazov. C'est plutôt un joli tour de passe-passe.
