Écrit par La Nouvelle Expression
Aubaine
Alphonse Djonté, lui, a d'autres arguments de se réjouir. Ce chef de famille a une fille qui passe en sixième et un garçon qui vient de finir son cycle primaire et s'apprête à aborder l'enseignement secondaire dès l'année scolaire prochaine. « Cette décision est vraiment une aubaine pour moi ; parce que je n'aurai plus à acheter de livres pour la classe de 6ème. La fille va tout simplement céder ses livres au cadet », affirme-t-il. A la limite, dit-il, il va se contenter d'en acheter un ou deux qui sont déjà trop usés. Alphonse Djonté voit d'ailleurs plus loin : « l'argent que je préparais déjà pour acheter la quasi-totalité des livres de la 6ème sera affecté à autre chose. »
Caroline Nana, pour sa part, est mère d'une fille de 12 ans qui passe cette année en classe de 4ème. Celle-ci n'a pas de cadet ni de cadette promu en classe de 5ème et qui pourrait récupérer ses livres. Mais, sa mère fait constater que la décision du Minesec offre finalement plusieurs possibilités aux parents. « Une femme de ma réunion est déjà venue me demander de lui vendre les livres de ma fille pour son enfant qui passe en 5ème », rapporte-elle. « Si on ne s'accorde pas, je vais être obligée de vendre ces livres aux marchands du poteau », prévoit-elle.
Librairie du poteau
En effet, beaucoup de gens saluent cette mesure de Louis Bapes Bapes en insistant sur le fait que les parents ne seront pas obligés cette année d'acquérir des livres neufs, et donc chers, pour leurs enfants. « Au lieu d'acheter un livre neuf en librairie à 4 000 ou 5 000 Fcfa, tu peux le trouver à 2 000 ou 3 000 Fcfa auprès d'un élève qui passe en classe supérieure ou bien à la librairie du poteau. Ce qui est bénéfique, vu qu'après, tu as d'autres choses à acheter pour l'enfant comme la tenue, les cahiers, les chaussures, etc. » Analyse une ménagère.
S'il apprécie aussi cette mesure du Minesec, Stanis Kenmoé, un enseignant, en redemande. « Il serait souhaitable que le ministre de l'Education de Base prenne la même décision au niveau de son département. Car, explique-t-il, c'est dans l'enseignement primaire et maternel que l'on assiste aux changements les plus intempestifs des livres scolaires inscrits au programme. »
Réaction: Louison Njoh Mbongué:« Il y a un taux de durabilité des livres scolaires »
Proviseur du Lycée Joss (Douala) et membre de la Conseil national d'agrément du livre scolaire, il situe le rapport entre un livre et le temps qu'il met au programme scolaire.
Comment appréciez-vous la décision du Minesec de reconduire les manuels scolaires de l'année qui vient de s'achever pour l'année prochaine ?
Je ne pense pas que cette décision pourrait être une mauvaise chose. Il me semble que les parents se sont régulièrement plaints de ce qu'on change les livres tous les ans. Et si les listes des manuels sont reconduites, c'est tout simplement que les parents devraient en être contents. Encore que moi qui suis membre du Conseil national d'agrément des livres scolaires, je ne suis pas d'accord avec ceux qui disent qu'on change les livres chaque année. On ne change pas les livres chaque année au niveau du ministère.
Du point de vue pédagogique, quel peut être l'intérêt de reconduire les mêmes manuels scolaires sur plusieurs années ?
Ce n'est pas la durabilité du livre sur le marché qui peut nous permettre de parler de sa qualité pédagogique. Je crois qu'un livre a une qualité et il peut être au programme pendant un an et on l'exploite suffisamment. Quand un livre a de la valeur, ça va de soi et ce n'est as le temps mis au programme qui lui donne de la valeur. Mais s'il dure longtemps au programme, c'est qu'il a de la valeur. Toutefois, on ne juge pas sa valeur par rapport au temps. Sur le plan pédagogique, un livre est important par rapport à son contenu, par rapport au message qu'il véhicule, par rapport à l'actualité, aux objectifs sociaux, politiques, moraux qui sont définis.
Quels sont les principaux critères qui vous permettent de sélectionner les livres à inscrire au programme ?
Le premier critère c'est le programme national. Il faut que le livre couvre les chapitres inscrits dans notre programme. Ce programme est déterminé par des experts au ministère et devrait, d'une manière objective, refléter une politique générale dans la formation d'un élève selon son niveau. Pour les autres critères, il faut que, sur le plan pédagogique, le manuel ait un support didactique, des exercices qui amènent l'enfant à comprendre le cours. Par ailleurs, il y a la qualité même de l'impression du livre, la qualité du papier, le coût du livre. Plus le livre coûte cher, moins il est accessible. Tels sont quelques principes premiers qui président au choix des livres à inscrire aux programmes scolaires.
Vous dites qu'au niveau du conseil, vous ne changez pas les livres tous les ans ; mais, sur le terrain, c'est un peu le contraire que les parents d'élèves vivent...
Les parents qui le disent n'achètent pas les livres. Donc, ils sont mal placés pour savoir si les livres ont changé ou pas. Je le dis parce que c'est nous qui sommes dans les établissements et qui faisons l'état de possession des livres par les élèves. Si les parents achetaient les livres, ils allaient constater que les livres qu'ils ont achetés il y a trois ans dans certains établissements sont encore les mêmes au programme. Le conseil ne change pas les livres tous les ans. Quand un livre entre au programme, il y est pour au moins trois ans et il est reconductible par le conseil au moins une fois. Donc, il peut faire six ans s'il ne subit pas de critiques acerbes des pédagogues que sont les enseignants sur le terrain.
L'autre réalité c'est qu'en classe de 6ème par exemple, on met au programme trois livres de mathématiques d'égale valeur. Et c'est à l'établissement de choisir l'un des trois. Et ce livre ne devrait normalement pas changer dans le même établissement à moins que les critiques des inspecteurs soient avérées. Donc, il y a un taux de durabilité des livres qui est calculable d'une année à une autre