Magazine Cinéma
Vous en avez assez des productions super-standarisées ? Vous voulez découvrir un film comme vous n'en n'avez jamais vu, quelque chose de complètement différent ? Voire un truc vraiment barré, qui ne ressemble à rien de ce qui s'est déjà fait ? Eh bien voilà l'OVNI dont vous avez toujours rêvé : Rubber, dont le personnage principal est... un pneu tueur en série !!!
Oui, vous avez bien lu : un pneu, une bête roue de voiture, en caoutchouc noir, avec une vie et une conscience propres. C'est la proposition initiale que nous fait Quentin Dupieux avec son troisième long-métrage. Autrement connu pour ses réalisations musicales sous le nom de Mr Oizo, notamment avec le célèbre morceau Flat Beat (CLIP A DECOUVRIR) et son fameux représentant fumeur de Knacki Flat Eric, Dupieux est un artiste touche-à-tout qui sait s'entourer (Sebastien Tellier, Justice, Michel Gondry...) et qui excelle autant dans le son que dans l'image, avec des compositions expérimentales et toujours en quête de dispositifs adaptés à son univers non-sensique.
Kézako ?Je vais tenter ici de vous synthétiser le scénario, bien qu'il soit relativement inracontable ! Il s'agit donc d'un gros pneu abandonné (ça je crois que c'est clair désormais !) qui s'éveille un beau matin dans un désert américain et qui se met à tuer à tour de roues (ha ha) grâce à un étrange pouvoir télépathe. Chemin faisant, il croise la route d'une jeune voyageuse solitaire et semble être attiré par elle. En parallèle, un groupe hétérogène de personnes sont amenées à un autre endroit du désert et sont priées par d'autres personnages d'assister, par jumelles interposées, à un spectacle dont ils ignorent tout : les aventures de notre mystérieux personnage psychopathe...Et le spectacle est effectivement aussi inattendu et bizarre que prévu : entre des flics qui ressuscitent, un tricycle qui s'anime tout seul (hommage flagrant à Shining), des meurtres à coups de dinde empoisonnée, si les rôles et les situations les plus cocasses se succèdent, cela n'enlève rien, au contraire, à la créativité et au suspense instillés à ce voyage fou d'un personnage pour le moins atypique et solitaire.
Une nouvelle route est tracée... (ha ha ha !)Toute la conception du film est ainsi pensée sur le même mode : la réalisation s'est structurée autour d'une équipe minimaliste, Dupieux s'occupant aussi du montage et en partie de la musique, en plus de l'image et du scénario, l'idée même du long-métrage s'étant presque décidée sur un coup de tête. Idem pour le matériel, constitué d'un seul appareil photo numérique Canon 5D Mark II avec fonction vidéo, et qui apporte cette esthétique particulière à l'image, poisseuse autant qu'onirique, accompagnée de cette BO lancinante, donnant au tout un faux-air de road-movie texan.
Et ce bric-à-brac fonctionne au bout du compte, "cela fait cinéma" comme on dit, car Dupieux arrive, avec son postulat de départ, à s'en tenir aux cadres minimaux de la fiction cinématographique, pour nous livrer sans conteste l'un des meilleurs films français de l'année passée. Sur une démarche proche de celle de Marcel Duchamp avec ses ready-made (de simples objets posés devant un public dans un espace muséal deviennent des œuvres d'art par la seule volonté de l'artiste), le créateur invite le spectateur à une expérience unique de cinéma, quasiment sans budget et sans équipe technique, avec un scénario invraisemblable, et un pneu dans le rôle principal, tout cela tourné très rapidement et presque à l'improvisation, et parvient à nous démontrer que, malgré tout cela, Rubber est bien un film de cinéma, et un bon en plus ! Nul besoin de tous les artifices codifiés que l'on nous sert habituellement : une simple caméra, des acteurs et une histoire suffisent au réalisateur à présenter sa production en salle de cinéma, et à en faire une œuvre relevant des mêmes tenants et aboutissants que n'importe quel autre film. Dupieux nous démontre ainsi, au même titre que Duchamp donc, que le cinéma est partout et que tout peut "faire cinéma", nous interrogeant ainsi chacun comme spectateur sur notre porosité individuelle à la fiction : jusqu'où sommes-nous prêts à croire sincèrement à une histoire, à nous laisser porter par les inventions d'un scénariste ? Quelle est la prévalence de la vraisemblance au final ? À chacun sa réponse !
La mise en abîme continue, par le biais du public qui observe l'action du film à distance, ne cesse justement de nous pousser à nous questionner sur ce qui se passe devant nous, et a pour vertu de proposer au spectateur de cinéma une position différente, celle d'acteur à part entière. Ici, ce "public" apparaît à la fois dans le film, donc comme acteur à part entière, et en-dehors de l'action principale, ce qui le rapproche du public réel de la salle dans un objet d'étude commun : les mésaventures criminelles du pneu. Nous sommes ainsi confortés dans notre posture de public traditionnel, mais surtout invités à participer à la vie propre d'un film, et à agir pour croire et faire vivre la narration qui se déroule sous nos yeux. Rubber nous rappelle là (et au sens propre, vous le verrez au fil du film !) l'essence même de toute œuvre d'art, qui commence à exister dès le premier spectateur, mais qui s'éteint sans public pour la faire vivre.
Au final, on démasque clairement ici chez Quentin Dupieux le connaisseur averti de ces films fantastiques des années 70 et 80 fonctionnant essentiellement à la débrouille et à l'imagination, pour nous effrayer et nous surprendre sans aucune ironie à la mode aujourd'hui (n'est-ce pas Mad Will !!!). SURTOUT ne vous laissez pas déstabiliser par la bizarrerie revendiquée de ce film, certes déroutante a priori, mais hyper-créative et complètement assumée pour une histoire surtout passionnante de tueur fou qui poursuit une jeune femme, entouré de personnages dingos sous le soleil californien... Rien que de très banal finalement, mis à part ce pneu, dont je vous invite vivement à suivre la trace (ha ha ha ha ha ha ha ...).
PAR DIRTY SAMIE