Hervé Aubron, Le génie Pixar, Editions Capricci, 2011, 96 pages
David A. Price, The Pixar Touch. The making of a company, 2008, 296 pages
Affichage publicitaire dans le métro parisien (juillet 2011)
Voici un tout petit livre, écrit, précieux. Son objet : la culture développée par les studios Pixar, installés dans le désert de l'Utah, chez les Mormons. Culture que l'on dira numérique, faute de mieux, culture où l'ordinateur est l'outil de essentiel de création et de travail. Au coeur du livre, la science fiction qui sous-tend la métphysique implicite de ces films : les robots (les ordinateurs) s'emparent du pouvoir déchaîné par de vagues apprentis sorciers. Dialogue hommes-machines mis en scène dans un film dont l'auteur serait un ordinateur. L'auteur surestime souvent son lecteur, évoquant plus que citant, maniant l'allusion de manière vertigineuse. Une seule lecture n'y suffit pas pour tout saisir.
Pixar, rappelons le, ce sont onze films d'animation, des prouesses technologiques d'imagerie numérique (computer graphics), des millions d'entrrées en salles : "Toy Story" (1995, 1999, 2010), "A Bugs Life" (1998), "Monsters, Inc." (2001), "Finding Némo" (2003), "The Incredibles" (2004), "Ratatouille" (2007), "Wall-E" (2008), "Cars" (2006), "Up" (2009). Ce sont aussi des messages publicitaires, des logos, et surtout beaucoup de "technologie au service de l'art" ("The Technology behing the Art") dont le fameux RenderMan indispensable pour le rendu des personnages.
Hervé Aubron renvoie, pour la matière première de son analyse au livre de David E. Price sur la formation de Pixar. David E. Price raconte l'histoire de Pixar, de Lucsasfilm au rachat par Steve Jobs (1986) puis par Disney (2006). Et c'est un roman passionnant. On y aperçoit, sans que cela soit théorisé, les forces en présence : les universités et les recherches (doctorants, professeurs), les laboratoires de grandes entreprises (Boeing, Xérox, etc.) qui vont fournir les acteurs. Et puis, bien sûr, Apple et Disney. Le livre est traversé par des personnages impressionnants, tétus, voyants, créatifs, parmi lesquels, Steve Jobs.
Une fois digérée cette histoire grâce à David E. Price, on peut revenir à Hervé Aubron et goûter son analyse. Dès lors, son travail se révèle un rare livre de philosophie des médias numériques, où Disney et Kubrick, et plus encore Renderman, sont des "théories matérialisées". Cette phénoménologie que parcourt l'Esprit numérique, du premier Disney à chacun des films successifs de Pixar, figure du Savoir Absolu, est souvent succulente, toujours grinçante. Travail stimulant, difficile où il faut suivre l'auteur qui finit par confronter Walter Benjamin avec les personnages du monde selon Pixar : "Le capitalisme est un grand dessin animé : il fait comme si les marchandises étaient mues par une vie propre". De quoi penser le numérique et rompre avec tant de célébrations fadasses et béates, cette "nuit où toutes les vaches sont noires".