A propos de My little princess d’Eva Ionesco 3.5 out of 5 stars
Anamaria Vartolomei
Plongée autobiographique dans les souvenirs d’enfance d’Eva Ionesco, My little princess revient sur les rapports tumultueux que la réalisatrice d’origine roumaine a toujours entretenus avec sa mère Irina Ionesco, célèbre dans les années 70 pour ses photographies érotiques et ses nus d’enfants. Ayant pris sa propre fille comme modèle, Irina Ionesco semble être allée beaucoup trop loin dans ce qu’elle a demandé à Eva d’accomplir, dans les poses qu’elle lui a imposées…
Les noms ont changé dans My little princess. Irina Ionesco (née en 1935) s’appelle Hannah et Eva, Violetta. Mais l’histoire est la même : celle d’une tragédie intime et d’une enfance volée dont on ne se remet pas.
Pendant des années, Eva Ionesco a servi de cobaye à sa mère, montrée dans le film comme une sorte d’artiste tortionnaire attirée par la mort. Elle a forcé sa fille, alors âgée d’une dizaine d’années, à se dénuder, à ouvrir ses cuisses, à montrer son sexe, elle est allée toujours plus loin dans la provocation et ce que l’on pouvait imaginer comme fantasmes dans la représentation du nu infantile. De ce traumatisme, Eva Ionesco a puisé la matière d’un film à la fois à la fois très personnel et distant dans sa narration, par le biais de l’onirisme notamment. Violetta voit sa mère au début du film comme une fée avant de la considérer peu à peu comme une sorcière (« T’es une salope »).
My little princess n’est pas qu’une œuvre cathartique, une manière d’exorciser ses démons ; c’est un drame intime vécu par une enfant et dont la portée est universelle. Si l’on sent la rage de l’enfant dans le film, si l’on est impressionné par les éclats de colère de Violetta, c’est davantage dans ses interviews que l’on sent la haine qu’Eva Ionesco porte encore à sa mère, tyran et voyeuse malsaines.
Malgré son côté « édulcoré », My little princess reste un film dur, poignant, joué par une Isabelle Huppert (Hannah) au sommet de sa perversité et une Violetta (Anamaria Vartolomei) saisissante de maturité, de courage et de détermination face à sa mère.
La première heure du film est remarquable. La froideur d’Hannah fait écho aux dialogues finement ciselés qu’elle entretient avec sa fille (« Tu sais, je suis physiophobe, j’ai horreur de la chair »). « La mort est une fête » dit Hannah à son galeriste. « La mort est une pute » lui rétorque Violetta. A la tension de la mise en scène, la dramaturgie du scénario répondent les compositions tantôt envoûtantes tantôt angoissantes de Bertrand Burgalat. Dans la seconde heure du film, la mise en scène se distend, la puissance dramatique s’étiole, les liens du film se desserrent. La faute sans doute à un scénario moins dense.
- Anamaria Vartolomei, Isabelle Huppert
Comment nommer ce qu’Hannah a fait à sa fille ? Un viol photographique ? Un inceste artistique ? Un peu de tout cela. Mais jamais, Ionesco ne tombe dans le misérabilisme ni la complaisance. La manière avec laquelle l’appareil photo (et l’œil) d’Hannah traverse le corps de sa fillette ne laisse pourtant aucune ambiguïté sur la teneur de l’acte artistique comme sexuel.
Beaucoup seraient tentés de remettre ces photos dans le contexte artistique, politique de l’époque, la liberté accordée sous Mitterrand aux artistes dans la représentation du nu infantile notamment. Si notre époque verse parfois dans l’excès de moralisme, avec la polémique qu’a connu notamment le CAPC de Bordeaux en 2000, reste que ce qu’ a fait cette artiste à son enfant peut paraitre profondément choquant et laisser au mieux mal à l’aise le spectateur, au pire le mettre dans une situation d’écœurement.
Si le but de Ionesco n’était pas que d’expurger ses souvenirs traumatisants, il y a une chose qu’elle a au moins réussi : c’est faire se sentir étrangement mal à l’aise le spectateur à la sortie du film…
www.youtube.com/watch?v=SnV6Z2-w1qo
My little princess, film français d’Eva Ionesco. Avec Isabelle Huppert, Anamaria Vartolomei, Denis Lavant. (1h 45)
Scénario : 2.5 out of 5 stars
Mise en scène : 3 out of 5 stars
Acteurs : 4 out of 5 stars
Dialogues : 4 out of 5 stars
Compositions : 4 out of 5 stars