"À quoi sert le cinéma ?". Une question aussi cartésienne que celle-ci mérite forcément une réponse spirituelle. Assurément, à nos yeux, le septième art c’est une fenêtre ouverte sur le monde et sur soi-même, aussi bien tournée vers l’extérieur pour comprendre l’Autre que vers l’intérieur pour se plonger dans des réflexions plus introspectives. C’est l’art de tous les possibles. Une échappatoire à la vie quotidienne, à la routine et à l’ennui qui en découle. Un art, en somme, pour s’évader, faire grandir et mûrir l’esprit.
Ce qui nous agace particulièrement au cinéma c’est l’absence de réflexivité et la compassion, ce sentiment de pitié que l’on ressent devant le malheur de l’Autre. Qu’un seul film parvienne à réunir les deux en même temps ne peut que forger notre admiration. Rarement, nous avions vu ça dans un long-métrage.
Une séparation de Asghar Farhadi c’est avant tout l’histoire d’un divorce et de ses conséquences dramatiques. Parents d’une fille âgée de 11 ans, Nader (Peyman Moaadi) et Simin (Leila Hatami) se séparent après quatorze années de relation commune. Seul pour s’occuper de son père atteint de la maladie d’Alzheimer, Nader engage Razieh (Sareh Bayat), une aide-soignante qui cache sa grossesse de quatre mois pour continuer à travailler depuis que son mari a perdu son emploi. Un jour, Nader rentre plus tôt chez lui et trouve son père à l’agonie attaché aux barreaux de son lit alors que Razieh s’est absentée pour une raison qu’elle ne veut dévoiler. Sous l’effet de la colère, une dispute éclate entre elle et Nader qui la congédie sur le champ, manu militari, et l’accuse d’avoir volé de l’argent. À la suite de cette dispute, Razieh perd son enfant et décide de porte plainte contre Nader. Alors que le coupable semblait être tout désigné, l’histoire s’emballe au fil de multiples rebondissements et diverses révélations qui feront émerger un cas beaucoup plus complexe que l’on aurait pu imaginer.
Avec ce long-métrage, Asghar Farhadi a fait le choix de plonger son spectateur au cœur même de l’action, sans aucune distance, sans aucun recul. Le spectateur participe à un enchaînement de scènes de la vie ordinaire du quotidien avant que celle-ci ne sombre dans le tragique. Devant les faits, le spectateur est sommé de juger rationnellement. Un exercice qui peut sembler aisé quand aucun lien affectif ne lie ce dernier à cette histoire. Mais voilà, le spectateur n’a pas le don d’ubiquité, encore moins quand le réalisateur cache volontairement des scènes pour donner plus d’intrigue et de suspense à son scénario. La mise en scène est le reflet de cette décision : la caméra suit le rythme endiablé de ces personnages, s’attarde en gros plan sur les visages de chacun si bien que l'idée à priori astucieuse de coller au plus près de l’action finit par agacer et ennuyer le spectateur quand cette technique dure pendant deux heures.
Dans un film comme celui-ci, la part belle est forcément donnée à l’empathie. Un autre choix également assumé par Asghar Farhadi qui veut faire de cette histoire iranienne un exemple universel de la difficulté des relations humaines. Hors, être dans l’action n’invite guère le spectateur à prendre son temps pour cerner, ne serait-ce qu’un moment, la psychologie des (nombreux) personnages, aspect largement occulté par le réalisateur. Cette histoire aussi poignante que délicate ne devrait pas nous laisser indifférente mais cette absence d’une approche psychologique affecte notre jugement. Il en découle un manque d’empathie sincère si bien que lorsque certains éléments du scénario se révèlent à nous, nous n’y croyons plus. L’agacement a fini par prendre le dessus. Le film en devient cyniquement pathétique dans sa scène finale quand le sort de la jeune fille est à même de se décider.
Hasard du calendrier, le long-métrage de Asghar Farhadi a cependant le mérite de donner un (triste) écho à l’actualité depuis l’arrestation de l’ancien directeur du Fonds Monétaire International, de montrer à quel point tout individu est incompétent dès lors qu’il s’agit de juger un fait auquel ce dernier n’a pas assisté. C’est au fond une question essentielle sur le fonctionnement de notre société qui invite à réfléchir sur les fondements même de l’idée de justice.
Au-delà de cette question, Une séparation donne la sensation d’un film brouillon. On étouffe, on s’énerve et on finit par en arriver à la conclusion assez exaspérante du "tout ça pour ça !".
Sortie en salles le 8 juin 2011