Ellis Peters était une vieille anglaise envoûtée par la vie bénédictine des monastères. Cette période troublée du 12ème siècle vit s’affronter, des décennies durant, la fille d’un roi prétendant au trône et son cousin couronné. Ellis y trouvait une résonance particulière à sa propre existence, née juste avant une guerre mondiale pour y exercer, adulte, son devoir durant une autre. Jamais mariée, elle aimait les enfants, mais surtout les adolescents qui basculent en quelques mois à l’âge d’homme, ou les adolescentes qui savent brusquement ce qu’elles veulent faire de leur vie quand elles ont rencontré « leur » amour.

Bien entendu, le monde se rappelle sans cesse à son souvenir, Cadfael est presque plus souvent en-dehors de la clôture que dedans. A cause de l’intérêt qu’il porte à tous ses frères humains. Apothicaire autodidacte, vaguement chirurgien pour avoir été soldat, il plante médicinal et transforme les herbes en sirops, vulnéraires, pastilles et onguents qu’il concocte à chaque saison propice, en prévision des mauvais jours. Il découvre et connaît le shérif du comté, Hugh, favorise son mariage avec la femme la plus obstinée et la plus belle du lot, avant de devenir le parrain de leur fils. Dès qu’un jeune est en difficulté, (garçon ou fille de 12 ou 20 ans) Cadfael lui offre une épaule secourable. Attentif, indulgent, ayant un sens aigu du devoir, il sait juger des êtres et leur fournir ce coup de pouce qui les aide à basculer du bon côté, au bon moment. Lire la série est un bain de jouvence, de droiture et d’humaine espérance.


Peut-être est-ce son meilleur livre, ou peut-être suis-je personnellement plus sensible à son fil – il a en tout cas un grand poids humain. Les thèmes en sont les rapports père/fils, les fidélités du siècle et l’hérédité du sang, le modèle qu’on se voulait et la réalité des ans. Yves et Olivier qui lui servit de père en son adolescence, Cadfael et Olivier son fils ignoré qui a choisi à 14 ans le modèle paternel légendé par sa mère, Philippe le fils cadet du comte de Gloucester qui passe à l’ennemi, las de tant d’années perdues pour l’Angleterre, Jovetta et son fils assassiné qu’elle venge, et jusqu’à Cadfael qui négocie avec le père abbé de son abbaye la possibilité d’aller sauver des âmes – tous ces rapports sont des rapports filiaux.


Le portrait qui est fait de Mathilde, prétendante au trône, fauteuse de guerre, et dont le fils deviendra le roi d’Angleterre Henri II, a des échos singuliers dans notre actualité politique : « La Dame des Anglais était belle, brave (…) Tous les candides jeunes gens de sa suite étaient un peu amoureux d’elle ; ils la voulaient parfaite et se détournaient indignés, lorsqu’il apparaissait manifestement qu’elle n’était pas une sainte, sachant fort bien, au tréfonds de leur cœur douloureux, combien elle était arrogante et vindicative. Ils étaient condamnés à souffrir. » (p.60)