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Astrophysique et combustion

Publié le 06 juillet 2011 par Gaga96 @gaga96fr
Pourquoi les généraux sont si bêtes ? Parce qu'ils sont recrutés parmi les colonels. (Jean Cocteau)
J'ai une copine de promo qui a fait une thèse de doctorat en astrophysique, dont le sujet traitait de l'atmosphère de Jupiter. Après sa thèse, ne souhaitant pas rester dans la recherche publique, elle a cherché un poste dans l'industrie.
C'est grâce à son diplôme d'ingénieur qu'elle a décroché un entretien dans une grande entreprise du secteur aérospatial, mais c'est grâce à ce qu'elle a appris pendant son doctorat (notamment des techniques de spectroscopie, utiles pour analyser la combustion des moteurs de fusée) qu'elle a décroché son poste.
Astrophysique et combustionElle a eu de la chance, d'une certaine manière, d'avoir un diplôme d'ingénieur en poche, car sans ce diplôme, elle n'aurait sans doute eu aucune chance d'être embauchée, alors que ce n'est pas ses compétences d'ingénieur qui sont pertinentes pour son activité, mais celles qu'elle a acquises en doctorat.
C'est un peu l'exception qui confirme la règle : dans la grande majorité des cas, des candidats parfaitement qualifiés pour un poste mais avec un profil exotique ne sont pas retenus, malgré un authentique professionnalisme du processus de recrutement.
Pourquoi ?
Tous les animaux ne sont pas des chevaux
Les entreprises confient souvent leur recrutement à leur service de ressources humaines ou à un cabinet de RH. Ces services sont évidemment des gens consciencieux, et ils sélectionnent des profils correspondant à la demande de l'entreprise. Jusqu'ici, tout semble parfaitement raisonnable.
Un directeur technique qui demande à son service RH de recruter quelqu'un pour un poste d'ingénieur va lui décrire un profil idéal, basé sur une représentation mentale du candidat parfait, ce qu'on appelle en psychologie un prototype. Toutefois, il n'a pas forcément besoin d'un candidat collant parfaitement à ce profil-type.
Pour bien comprendre cette notion de prototype, considérons le concept d'"animal". Lorsque vous voyez un animal d'une espèce que vous n'avez jamais rencontré, par exemple une licorne (comment ça, ça n'existe pas ?), vous savez qu'il s'agit d'un animal. Pourtant, vous n'employez probablement pas une définition précise du concept d'animal, et vous ne vérifiez certainement pas s'il possède certaines propriétés que doit avoir un animal.
Astrophysique et combustionSelon toute vraisemblance, vous remarquez l'analogie entre cette licorne et les chevaux, et comme vous savez que les chevaux sont des animaux, vous en concluez que la licorne est un animal. Le cheval est ici un prototype d'animal, et l'appartenance de la licorne à la catégorie des animaux est déduite de sa ressemblance avec le prototype de cette catégorie.
Dans un tel système, imaginez un jeune docteur en astrophysique qui entre sur le marché du travail. C'est notre licorne. Comme les entreprises qui travaillent sur des problématiques astrales ou planétaires ne sont pas légion (je ne parle évidemment pas d'astrologie), il est peu probable qu'un cabinet de RH ait besoin d'un profil exactement comme le sien. Qu'à cela ne tienne, il envoie des candidatures à diverses entreprises auxquelles il pense pouvoir apporter ses compétences.
Le directeur technique d'une de ces entreprises a besoin d'un ingénieur ayant des compétences en spectroscopie. C'est l'équivalent de notre animal. Il a décrit donc un profil-type : ingénieur en combustion avec une expérience en spectroscopie. Voilà notre cheval. Il a donc adressé son profil-type au service RH.
Astrophysique et combustionLe service RH, recevant le CV de notre licorne, compare ce CV avec le profil-type du directeur technique. Il constate qu'une licorne n'est pas un cheval. Notre docteur en astrophysique n'est pas sélectionné, et le directeur technique n'entend jamais parler de lui.
Quelques semaines plus tard, aucun candidat ne faisant l'affaire, le directeur technique se résigne à abandonner un projet ambitieux. Si le docteur en astrophysique avait été présenté au directeur technique, celui-ci aurait immédiatement identifié un candidat adéquat pour le poste. Un beau gâchis.
A qui la faute, me direz-vous ? A tout le monde et à personne, en fait :
  • le directeur technique s'est plié aux habitudes des RH : il a décrit un profil, un prototype ;
  • le service RH n'a pas cherché à savoir si, derrière le profil, il y avait une demande plus large ;
  • et enfin, le docteur en astrophysique s'est sûrement présenté en spécialiste de telle ou telle variété d'étoiles et n'a pas forcément mis en avant ses capacités en spectroscopie.
Le problème est ici un problème de recrutement de personnel, mais on peut élargir la problématique à la sélection d'un fournisseur. Si vous demandez à un service achat de vous trouver un fournisseur de boîtes en carton, alors que vous avez besoin d'emballage légers, il ne vous proposera pas de fournisseur d'emballage en papier, en aluminium ou en plastique, ni de fournisseur de tubes en carton.
Comment éviter cet écueil ?
Le médiateur technique rencontre couramment cette problématique : en effet, son client ne trouve pas l'expert ou l'entreprise dont il a besoin car il s'est focalisé sur un prototype et non sur ce dont il a vraiment besoin. Savoir éviter cet écueil est donc essentiel en médiation technique.
Il est important de bien distinguer ce que le client exprime initialement et ce qu'il veut en réalité. Ses attentes profondes ne sont pas toujours en phase avec ses demandes exprimées. La première tâche du médiateur technique est donc d'éliciter les attentes du client. Pour ce faire, il peut se servir de plusieurs méthodes d'élicitation des connaissances, et en particulier des entretiens.
La méthode des 3 "pourquoi?" (i.e. poser successivement 3 fois la question "pourquoi ?' lorsqu'une demande du client est exprimée, afin de creuser les raisons profondes de sa demande) est très utile dans ce contexte.
Ce n'est qu'après une élicitation des attentes approfondie que l'on peut procéder à la rédaction du cahier des charges de la recherche, ou d'un profil-type dans le cas d'un recrutement.
Peut-être que certains services ou cabinets de RH pratiquent déjà l'élicitation des attentes. Si c'est le cas, je suis intéressé par un retour.

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