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La Dernière Piste

Par Mg

Meek’s Cutoff (La Dernière piste) de Kelly Reichardt est un « western », soit. Epoque : 1845. Lieu : Territoire de l’Oregon. Pourtant, d’un western en tant que genre, il n’a sans doute pas beaucoup d’autres caractéristiques. Il est même si peu construit à l’aune des codes du genre que l’on peut s’interroger sur la pertinence de l’envisager en relation (continuité ou rupture) avec la tradition du western, classique ou « crépusculaire ». Reichardt recrée une mythologie de la conquête de l’Ouest à l’échelle de quelques individus qui n’ont rien de héros (positifs ou négatifs), personnages suivis au jour le jour, en l’absence de toute aventure spectaculaire. Il n’y aura que neuf personnages, un huis-clos à l’échelle du Territoire de l’Oregon, en quelque sorte. Le Stephen Meek du titre est chargé de guider vers l’Ouest un groupe de sept pionniers (trois couples et un enfant). Dès le début du film, la situation est claire : ils sont perdus. Acte de malveillance ou résultat de l’incompétence de Meek ? Le dernier personnage sera un Indien, capturé. Là encore, on s’interroge : faut-il le garder ou le tuer ? Serait-il un guide plus fiable que Meek ? Le personnage interprété par Michelle Williams (dont on peut décidément louer le jeu et les choix de rôle) garde la tête froide et sa détermination lorsque tout va mal, lorsque la nourriture et l’eau viennent à manquer ; cependant, comme tous, elle est gagnée par le doute. A qui se fier ? A l’Indien ? A Meek ? On ne le saura jamais vraiment. Bien peu d’événements se produiront d’ailleurs au cours du film, mais qu’importe : Meek’s Cutoff est une très belle œuvre.

Pour ce qui est de la lenteur, le rythme est donné dès le début. Les premières images montrent les femmes traversant péniblement, comme au ralenti, une rivière au courant rapide. Un peu plus tard, un fondu enchaîné, si lent que les deux images se mêlent de manière d’abord énigmatique, suggère le caractère fantomatique de la présence des pionniers en ces lieux. Ils avancent sans relâche, mais il semble que le territoire soit si vaste qu’il est impossible pour des hommes de bouger assez vite pour que leur progression soit mesurable.

Ce vaste territoire qu’est l’Oregon, c’est en quelque sorte l’autre extrémité : ni la Californie de la ruée vers l’or, ni même le sud-ouest des films hollywoodiens, l’Ouest des luttes épiques des cow-boys contre les Indiens. Dans l’Oregon de Meek’s Cutoff, on trouve de l’or, mais peu importe : on cherche de l’eau. Le « raccourci de Meek », ironiquement, perd le convoi; on est dans l’écart, le chemin détourné, et l’issue glorieuse n’est pas suggérée. Nous voilà revenus à un temps où les personnages s’interrogent sur l’avenir du territoire (l’Oregon sera-t-il un jour un Etat américain ?), à un temps où, comme l’explique Meek, le nombre d’Américains dans l’Etat se compte en centaines, si bien que l’arrivée de sept chercheurs d’or peut changer la donne. Une double disproportion est mise en scène. Ces quelques familles comptent à l’échelle de l’histoire du pays, dans ce territoire encore indompté. La contrepartie est qu’elles sont écrasées par cet espace où les êtres humains sont si peu nombreux qu’on peut les compter à vue, pour ensuite contempler le vide qui les entoure. Nulle exaltation des grands espaces ; le format « carré » choisi par la réalisatrice l’interdit. L’espace vaste est, plus qu’un espace de liberté, une étendue où l’on se perd.

L’attaque des Indiens, toujours crainte, ne se produit jamais (comme dans le True Grit des Coen, d’ailleurs). Cette absence, c’est l’absence des codes du genre, l’absence du plus grand stéréotype et de la plus grande victime. L’Indien prisonnier parle une langue incompréhensible pour les colons, qui ignorent s’ils peuvent se fier à lui. Ils comprendront peu à peu qu’il échappe au stéréotype du sauvage cruel tout comme à celui du bon sauvage, mais il restera inconnu et inaccessible.

Malheureusement, le film a un gros défaut : une fin ouverte qui ne paraît en rien justifiée. Il semble bien qu’un tel procédé doive rester une exception, une figure de style porteuse de sens. Ici, on soupçonne la solution de facilité. L’intrigue a une origine historique, dont l’issue est mal connue, certes. Mais on est si proche des personnages pendant le film qu’il semble difficile d’expliquer cette absence de clôture par une démarche historique ou démonstrative (les personnages seraient des symboles de la conquête de l’Ouest, certains ont réussi, d’autres non). En somme, on a la désagréable impression, en repensant au film, qu’on a manqué la fin.

Toutefois, cette mise en suspens finale bien fade ne saurait faire oublier l’intensité qui parcourt l’ensemble, au rythme du convoi dans un paysage immense et monotone, au rythme implacable des nuits noires et des journées éclatantes. C’est le parcours rude d’un pays en construction au temps de l’incertitude et des choix de quelques individus, la lutte pour la conquête d’un territoire ramenée à un parcours de survie ; en fin de compte, on ne sait plus, de la nature, des Indiens ou des colons, lesquels sont adversaires, lesquels sont agresseurs et victimes, une fois l’histoire ramenée à cette échelle, à la fois humaine et totalement disproportionnée.


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