Toute entreprise ou organisation évolue dans un environnement propre et un même élément aura une signification différente pour chaque acteur économique particulier. J'avais déjà indiqué dans un autre billet (ici) comment la notion de milieu éclairait ce rapport particulier qu'entretient une entreprise vis-à-vis de son environnement. J'aimerais cette fois aller plus loin en caractérisant ce rapport à partir de la notion d' « environnement pertinent ».
L'environnement pertinent serait ainsi l'ensemble des éléments qui font sens pour une entreprise – c'est-à-dire qui ont une influence sur elle et sur sa capacité à se développer et à rester pérenne dans la compétition économique. C'est, pour le dire autrement, le « monde usuel de son expérience perspective et pragmatique1 ».
Signification et action sont intimement liées chez le vivant. En effet, « l'existence d'un sujet animal en tant qu'il est récepteur de significations consiste en un percevoir et un agir2 ». Un vivant c'est « un machiniste qui répond à des signaux par des opérations3 ». Sur ce modèle, l'entreprise doit également être capable de capter et d'analyser les signaux du marché en vue d'agir. Tout ceci n'est d'ailleurs pas sans rappeler les « Market Signals » de Michaël E. Porter4. Mais comment déterminer ce qui fait sens pour une entreprise ? En bref : « Qu'est-ce qu'un environnement pertinent ? »
Les trois sphères de l'environnement pertinent
Dans le numéro de Mars 2011 de la revue de l'ADBS Documentaliste, Hervé Daniel, directeur de Créativ5, définit un modèle de veille où 7 éléments du marché apparaissent comme pertinents à surveiller6 :
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Les clients (poids, stratégie, marges, perspectives, etc.)
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Les concurrents (stratégie de développement, facteurs de différenciation, etc.)
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Les nouveaux entrants (nationaux, internationaux, produits ou services de substitution, etc.)
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Les attentes et tendances (vieillissement de la population, émergence de nouveaux bassins de consommation, Internet des objets, concentration des clients et des fournisseurs, etc.)
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Les évolutions réglementaires
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Les évolutions technologiques
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L'évolution du coût de l'énergie et des matières premières
A priori cette liste n'est pas exhaustive mais elle peut être un point de départ dans notre recherche de l'environnement pertinent. On reconnaît d'ailleurs certains éléments provenant des cinq forces de Porter (concurrents du secteur, nouveaux entrants, substituts, pouvoir de marchandage des clients et des fournisseurs).
Pour aller plus loin et pour tenter de dessiner une logique propre à cette liste, je propose de partir d'une question assez simple et liminaire : Qu'est-ce qui empêche une entreprise de se développer sur le marché économique ? Autrement dit : Quels sont les contraintes posées par l'éco-système d'une entreprise ? Voilà à mon sens ce qui doit guider la caractérisation de l'environnement pertinent.
De manière assez classique, on peut reconnaître trois sphères de contraintes qui pèsent dans la vie d'une entreprise :
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La sphère institutionnelle ou réglementaire (les lois, réglementations et normes nationales, supranationales ou internationales)
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La sphère concurrentielle au sens large (l'« extended rivalry » de Porter)
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La sphère de l'opinion et de la société civile (image, réputation)
Dès lors trois grands ensembles à surveiller se dessinent. Mais il faut encore zoomer pour avoir des éléments qui font vraiment sens pour une entreprise particulière. Pour ce faire, deux types d'éléments sont à repérer dans chacun de ces ensembles : les données et les acteurs. Les données seront des leviers de connaissance, les acteurs seront des leviers d'influence. Connaissance et influence correspondant aux deux phases de l'adaptation : capter et agir.
Accroître la connaissance pour réduire l'incertitude
Très vite on voit la nécessité de posséder des capteurs efficaces capables de recueillir, de traiter et d'analyser des données en rapport avec la sphère institutionnelle (lois, normes, réglementations ou mieux : projet de loi, de normes, …), la sphère économique (renseignement concurrentiel, évolution et tendances du marché) et la sphère sociétale (revendications, actions en cours, etc.). Mais il ne faut pas oublier de repérer les liens transverses entre ces trois types de données (comme par exemple des anticipations de certains concurrents à tel projet de loi, etc.).
Ainsi en première analyse, l'environnement pertinent est un maillage de données représentant l'ensemble des menaces et opportunités réglementaire, économique et sociétale qui ont un impact pour le business d'une entreprise. Ce maillage doit alors constituer en interne un réseau de connaissances capable de réduire l'incertitude quant aux décisions qui ont à être prises par le top management.
Agir sur l'environnement pertinent : l'influence
Une fois la cartographie des données établies, c'est une cartographie des acteurs qu'il faut entreprendre en remontant aux personnes ou entités qui ont le pouvoir d'influer sur telle ou telle donnée. L'idée ici est d'avoir une vision claire des alliés et des adversaires pour l'entreprise considérée. Cette cartographie servira ainsi à établir des partenariats stratégiques ou à initier des actions d'influence. Ces actions auront pour but de modifier l'environnement en agissant sur les acteurs qui le structurent. Elles seront de trois types suivant la sphère de l'environnement pertinent considérée :
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Lobbying et affaires publiques (sphère institutionnelle)
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Communication stratégique (sphère sociale)
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Innovation créatrice (sphère économique)
Il ne s'agit pas ici de rentrer dans les détails mais de fournir des pistes de réflexions. Néanmoins je vais dire quelques mots sur ces trois modes d'action sur l'environnement pertinent.
L'entreprise est prise dans un système complexe d'influences réciproques. C'est, pourrait-on dire, son éco-système stratégique.
Ce système d'influences interconnectées suggèrent que l'entreprise ne peut pas se contenter d'agir sur un seul aspect de l'environnement pertinent mais doit mener de front des actions d'influence parallèles sur les trois sphères identifiées.
Je passerai vite sur le lobbying qui est relativement bien connu. On le trouve en général dans les entreprises au département « Affaires publiques ». Il est composé de juristes et de personnes en lien direct avec les décideurs institutionnels. Il a pour mission d'anticiper un projet de réglementation contraignant, de faire valoir son point de vue et son expertise auprès des pouvoirs publics, voire de constituer des groupes professionnels avec d'autres entreprises pour peser dans les décisions.
La communication stratégique est une communication qui a pour objet de construire une image de marque performante et une bonne réputation auprès de la société civile. Souvent attaché à la communication corporate, elle comprend aussi la communication sensible dont la communication de crise, et se développe aujourd'hui largement sur la e-réputation, la réputation sur le Web (forum, réseaux sociaux, blog, etc.).
Enfin, ce que j'ai appelé « Innovation créatrice » est une innovation qui est valorisée sur le marché à tel point qu'elle crée un espace de contrainte pour les concurrents. C'est ce que j'avais appelé dans un précédent billet (ici) « normativité économique ». Ce type d'innovation, qui peut aussi bien concerner les produits, les process ou la structure de l'organisation, est en général copiée par d'autres entreprises et s'impose comme norme.
J'en termine donc par une définition : l'environnement pertinent pour une entreprise X est l'ensemble des données et acteurs politiques, économiques et sociaux qui structurent le système d'influence dans lequel est prise l'entreprise X ; c'est-à-dire qu'il définit ce qui agit sur l'entreprise, en même temps qu'il permet de voir ce sur quoi l'entreprise peut agir.
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1G. Canguilhem, « Le vivant et son milieu » in : Georges Canguilhem, La connaissance de la vie, Vrin, 2003
2Jacob von Uexküll, « Théorie de la signification » in : J. v. Uexküll, Mondes animaux et monde humain suivi de La théorie de la signification, Denoël, 1965
3Ibidem.
4Michael E. Porter, Competitive strategy, Free press, 2004, page 76
5Creativ est labellisé Centre européen d'entreprise et d'innovation (CEEI) et accompagne les PME dans leurs stratégies de développement à Rennes.
6Nicolas Moinet, Hervé Daniel, « Architecture d'un plan de veille au service d'une vision systématique de l'innovation »