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Nuits d'Espagne et Nouveau Monde

Publié le 16 juillet 2011 par Philippe Delaide

Concert vendredi 8 juillet au soir dans le cadre du Festival de la Bâtie d'Urfé (L'Estival de la Bâtie) dans la cour d'honneur du Château de la Bâtie d'Urfé à Saint-Etienne le Molard. L'Orchestre Symphonique Saint-Etienne Loire, sous la Direction de Laurent Campellone, interprète un programme Manuel de Falla et Antonín Dvořák.

Campellone Laurent 2
L'Orchestre débute la soirée par une pièce de Manuel de Falla, aux accents ibériques les plus débridés, et ponctuée au son des castagnettes. Laurent Campellone mène d'emblée l'orchestre sur le rythme enjoué de cette pièce qui théâtralise tout ce que la musique typique espagnole peut évoquer pour le public. La direction d'orchestre est nerveuse, l'ensemble bien homogène pour nous faire savourer cette gourmandise servie en introduction.

Vient ensuite une superbe pièce du même compositeur, Nuits dans les jardins d'Espagne, sorte de poème symphonique pour piano et orchestre, avec Racha Arodaky comme pianiste soliste, artiste que j'avais eu le plaisir d'interviewer il y a deux ans, notamment à propos de son enregistrement des suites de Haendel.

Cette oeuvre, peu interprétée et dont les enregistrements son assez rares est d'une évocation poétique indéniable. Elle déploie des sonorités d'une majesté impressionnante et son expressivité est saisissante. On ne peut s'empêcher d'imaginer les images les plus somptueuses des jardins de l'Alhambra comme ceux de Cordoue. Les accents arabo-andaloux sont d'une élégance inouie.

Cette élégance est justement révélée par les musiciens, tant l'orchestre que la soliste, avec la finesse extraordinaire de son toucher et sa maîtrise des nuances. Dès les premières mesures du premier mouvement, aux accents ténébreux, l'orchestre nous envoûte et, surtout, se révèle être un écrin superbe pour le piano qui déploie des superbes couleurs.

Le premier mouvement s'intitule En el Generalife (jardins de jasmins du palais de l'Alhambra). Avec cette sensualité si caractéristique du jeu de Racha Arodaky, les nuits envoûtantes de ces jardins d'Espagne sont évoquées de la façon la plus expressive qui soit. Les accents arabisants de cette musique, notamment son côté circulaire, prennent un caractère hypnotique et le parfum enivrant du jasmin est bien là, si magnifiquement évoqué. Ce premier mouvement donne le frisson et son interprétation est indéniablement réussie.

Le deuxième mouvement, Danza lejana, est une danse enlevée, très rythmé, dont les accents ibériques sont les plus marqués. L'orchestre est mené avec une fougue certaine par Laurent Campellone. Racha Arodaky interprète avec agilité cette danse en révélant une grâce indéniable.

Le troisième mouvement, En los jardines de la sierra de Córdoba, est le plus complexe et le plus impressionniste. Il entremêle de façon subtile la masse orchestrale et le piano si bien que le juste

Arodaky Racha 20091121b
équilibre semble très difficile à atteindre. Peut-être, pour se distinguer des conventions qui consistent à conclure avec une mise en valeur du piano qui interpréterait un final avec brio, de Falla termine le mouvement et la totalité de l'oeuvre avec un fondu surprenant où orchestre et piano s'associent pour disparaître avec la plus grande discretion. Cela donne une impression de final en "queue de poisson" dont l'impression reste étrange et un peu frustrante, d'ailleurs tant pour les musiciens que pour le public.

En tout état de cause, la magie de ces Nuits, que de Falla appelait des "Impressions symphoniques", a vraiment opéré. Ce concert de plein air, sous un ciel étoilé, par une nuit douce, avec un chef inspiré et une soliste qui révèle avec conviction toute l'intimité qu'elle a avec les accents arabo-andalou de cette musique, est un pur régal.

En seconde partie de soirée, Laurent Campellone dirige la fameuse 9ème symphonie en mi mineur de Dvořák dite du Nouveau Monde. Sur le premier mouvement (Adagio - Allegro molto) on sent bien que le chef prendra le parti d'une belle énergie, d'une réelle dynamique mais sans dureté. Avec un effectif orchestral plus restreint que celui que l'on a l'habitude d'avoir pour cette symphonie ainsi que les contraintes inhérentes au plein air (acoustique qui peut être fuyante), Laurent Campellone réussit particulièrement bien à maintenir densité mais aussi clarté de la ligne. Son interprétation est vive et engagée. Elle fait sonner l'Allegro introductif de façon colorée et généreuse.

Sur le Largo, l'orchestre conserve son homogéneité et le chef ne tombe pas dans le piège de la mièvrerie aux accents folkloriques dans lequel on peut vite tomber sur ce mouvement qui évoque une nostalgie indéniable du compositeur ayant quitté la veille Europe pour le nouveau monde.

L'orchestre attaque la plus belle partie de la Symphonie, le fameux Scherzo, avec la détermination qui s'impose, en restituant de façon très convaincante l'opposition de climat entre le thème incisif incarné par les attaques des violons et celui, ample et lyrique servi par les altos, violoncelles et basses. Les instruments à vents viennent particulièrement bien assurer le battement rythmique de ce superbe mouvement.

Sur le final, l'Allegro con fuoco, Laurent Camellone mouille encore plus la chemise. Sa générosité, son engagement sont indéniablement payants. Cette symphonie se conclut sous le signe d'une belle lumière, incarnation d'un espoir, d'un esprit des plus positifs. Belle lecture, qui nous ressource et nous fait savourer la beauté singulière de cette symphonie.

Laurent Campellone fait une excellent travail avec l'Orchestre Symphonique Saint-Etienne Loire. Sa direction musicale révèle une indéniable générosité, un sens profond de l'engagement et une volonté de nous faire découvrir le répertoire sous l'empreinte d'une énergie positive, d'une belle lumière. Tout ceci est aussi révélé par un petit accent méridional lorsqu'il parle de musique ainsi que son regard vif et déterminé.


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