Alors, visitant l'exposition une seconde fois, avec un regard moins ému, moins historié, je me suis pris à les regarder comme des oeuvres d'art, à apprécier leur composition, leur mise en scène, leur style. Voici, modestement choisies, quelques photographies de cet ensemble que m'a semblé unir une thématique commune, celle du voile, du cache, du dissimulé; elles me semblent différer de la majorité des photos présentées ici, aux lignes plus claires, dures, précises. Cette idée m'est d'abord venu devant un soldat britannique en Ulster photographié par
Philip Jones Griffiths en 1973 : cette image floutée, rayée, indécise, brumeuse, aurait pu avoir été prise par un artiste de la foto povera, ou bien il aurait pu s'agir d'une empreinte imparfaite, d'une véronique. En fait, c'est l'effet du bouclier pare-balles que le soldat tient devant lui. Cet écran, cette protection, ce vague, viennent du réel et non de l'acte photographique, et tout un discours sur la représentation peut affleurer ici.
Je me suis mis dès lors à chercher les fumées, les brumes d'où émergeraient des corps, des visages, des fantômes, des traces. Le héraut/héros libanais tendant le bras au milieu des ruines de
Beyrouth bombardé par Israël en 2006 (par
Paolo Pellegrin) se dresse sur un fond de fumée qui ferme l'espace, alors que lui l'ouvre et le déchire, dans un appel à l'aide, vers une révolte sans doute, vers nous peut-être.
Le religieux ultra-orthodoxe relançant une grenade lacrymogène devant le mur des lamentations à l'occasion d'une manifestation de femmes juives empêchées de prier là par les ultras (
Micha Bar-Am, 1989) se détache sur le mur de fumée comme un danseur, comme un diable sauteur, il va être englouti, absorbé, dissous. Moins connue, c'est une des plus belles images de l'exposition, des plus étranges, des plus obscurément symboliques peut-être.
C'est au sol qu'est marquée l'empreinte d'un corps, corps tchétchène brûlé là, semble-t-il, il n'en reste qu'un contour dérisoire dans cette boue neigeuse (
Stanley Greene, 1995) et
l'esprit rebondit vers une autre empreinte, un autre corps disparu, celui photographié à Nagasaki par
Eiichi Matsumoto en 1945, simple trace, ombre portée après la déflagration. Ces empreintes là crient plus fort qu'un cadavre.
Enfin il y a cette photo de famille que la jeune Bosniaque Amela Fako trouva dans les ruines de sa maison, seul vestige après sa destruction par les miliciens serbes (à Ilidza en 1996) : visages grattés, raturés, identités effacées, mémoires abolies,
damnatio memoriae (plus extrême que pour cette
femme d'un mari jaloux).
Gilles Peress l'a retrouvée et elle apparaît ici sous son nom. Il y a ici bien d'autres photographies plus illustratives, plus journalistiques, mais celles-ci m'ont frappé par leur esthétique de la disparition, de l'effacement.
Quant au reste de la MEP, en plus de Jane Evelyn Atwood, on peut y voir une sélection de photographies du
magazine De l'air, qui fut "Reportages d'un monde à l'autre" et qui est aujourd'hui "Le magazine qui donne à voir". Comme toujours dans ces cas là, du bon et du moins bon (voire du carrément mauvais avec les états d'âme du photographe voyageur s'interrogeant sur sa propre identité), du reportage, des stars, de l'art.
Allez, deux très bons : cette photographie prise par
Guillaume Herbaut à Birkenau, tragique (mais j'ai aussi pensé à Yael Bartana et au retour des Juifs en Pologne) et ce beau nu dansant et flou de
Floriane de Lassée, fondant dans la lumière.
En bas,
Xavier Lambours montre de beaux portraits de puissants (ci-dessous DSK sous les flocons, séducteur bien sûr, loup tapi dans la neige) et de gens simples (bien plus beaux), mais ses nus dissimulés derrière un rideau sont ridicules d'affèterie : n'est pas Courbet qui veut...
Titre emprunté à Guillaume Apollinaire, bien sûr, dans L'Adieu du Cavalier.
Photos 2 & 9 courtoisie du service de presse