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La brève histoire de ma mère, de Dibakana Mankessi

Par Liss
La brève histoire de ma mère est une sorte de Chronique d'une mort annoncée, mais, contrairement au roman de Garcia Marquez, c'est le personnage même qui va mourir qui annonce sa disparition aux siens, c'est-à-dire la mère. Elle informe ses enfants de la date à laquelle elle va rejoindre ses aïeux, ainsi que l'heure. La première fois, les enfants sont bouleversés, le ton et la manière dont elle livre cette information ne permettent pas de croire à une plaisanterie. Tous ses sept enfants l'entourent ce jour-là, pour guetter la mort et peut-être réussir à la convaincre, en l'apercevant, de faire demi-tour :
"Nous n'avions vraiment pas la tête à causer. Nous étions là à attendre, comme si nous tendions un piège, une embuscade à la mort, pour voir par où elle allait passer." (La brève histoire de ma mère, p. 12)
La brève histoire de ma mère, de Dibakana Mankessi
Au matin, les enfants, sont heureux de constater que leur mère ne les a pas quittés, comme annoncé, mais elle réitère cette annonce pour l'année suivante. Le même scénario se produit. Au bout de quelques années, le nombre d'enfants restant à veiller au chevet de la mère s'amenuise, ceux-ci étant peu à peu gagnés par la certitude que rien n'arriverait. La septième année (un chiffre qui coïncide avec le nombre d'enfants qu'ils sont), à la date indiquée,  il n'y a personne auprès d'elle. Et c'est ce jour-là qu'elle s'en va. La consternation est grande parmi les enfants. Et c'est l'une des filles qui nous conte l'histoire de cette disparition. L'incipit du roman fait penser à celui de L'Etranger, roman d'Albert Camus. Tous deux commencent par cette funeste nouvelle : "maman est morte"
La narratrice explique les circonstances du décès de sa mère, elle livre en même temps des morceaux de ce qu'a été la vie de cette dernière, la vie de cette famille tout simplement, gérée beaucoup plus par le fils aîné plutôt que par le père, souvent absent, car occupé à caresser une bouteille ou une femme, mais jamais la sienne. La sienne, il la frappe, injustement, violemment. L'adolescente exprime aussi ses interrogations, ses émotions de jeune fille pubère.
Une autre voix prend la parole dans le roman pour raconter la vie de la mère, Mâ Mado, s'adressant à elle à la deuxième personne du singulier. Le lecteur en apprend ainsi davantage sur la vie du personnage, notamment sur ses origines, sur l'histoire de sa naissance. Ce croisement de "voix", celle du narrateur ou de la narratrice et une autre que le lecteur est appelé à identifier, est l'une des réussites du roman Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants de Mathias Enard.
Ce que j'ai le plus apprécié dans le roman de Dibakana, c'est la coloration africaine du langage. L'auteur a voulu rendre les expressions locales, le parler des francophones congolais. C'est un livre qui montre bien combien le français est une "langue africaine", comme le dit Pierre Dumond dans son essai Le Français langue africaine. J'ai donc sans cesse pensé à mon dernier livre L'Expression du métissage dans la littérature africaine, notamment la troisième partie consacrée au métissage de la langue utilisée par les auteurs africains.
Un extrait du roman :"Elle était si sérieuse en nous le disant ! "Puisque je vous dis que je vais mourir, pourquoi ne me croyez-vous pas!" disait-elle de sa voix douce et chantante. Ah oui, il faut que je vous dise que chez nous on parle comme ça. Notre français n'est pas vraiment le français de la France. Il y ressemble beaucoup évidemment, mais il est différent. Pour sonner vrai, il est non seulement alourdi d'accent et imagé de mots venant de nos langues, mais également complété d'innombrables interjections bien de chez nous. Pourquoi ne me croyez-vous pas? Kô permet d'appuyer ce que l'on dit. En français de France, je ne vois pas d'équivalent." (page 14)
 Dibakana Mankessi, La brève histoire de ma mère, Editions Acoria, 2010, 214 pages, 18 €.

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