Mercredi, Nicolas Sarkozy partit à Berlin préparer avec Angela Merkel le conseil européen du lendemain. Le Monarque travaille, nous fait-on croire. Après un mardi pluvieux consacré à un hommage télévisé et national à sept soldats français tués en Afghanistan, Sarkozy avait reçu deux dirigeants de l'insurrection libyenne à Misrata, amenés à l'Elysée par Bernard-Henri Levy.
Le Monarque travaille, mais surtout pour lui. L'essentiel de son agenda se partage entre ses repos prolongés au Fort de Brégançon et ses manoeuvres contre les dissidences politiques à droite. En quelques jours et quelques faits, on a compris, une fois de plus comment Nicolas Sarkozy menaçait les traîtres, consolait les orphelins, et protégeait les fidèles.
Les orphelins
Virés, vidés, lâchés, certains anciens fidèles de Sarkofrance tentent de survivre. Le divorce n'est parfois pas consommé. Ainsi, Alain Joyandet, éphémère secrétaire d'Etat à la Coopération démissionna il y a un an, après quelques jours de polémiques sur un voyage en jet privé de trop aux frais du contribuable et des soupçons de permis de construire indu en Provence.
Ce 20 juillet, le voici qu'il inonde les boîtes mail de la blogosphère politique d'une grande nouvelle : « Le Président de la République Nicolas Sarkozy a souhaité confier à Alain Joyandet, ancien Ministre, député de Haute-Saône, une mission sur le développement de l'emploi des jeunes en France ». Fichtre ! On est rassuré pour lui. Notre Monarque est l'apprécie toujours un peu. Joyandet, par ailleurs député-maire et propriétaire d'une entreprise de fabrication de bateaux en bois précieux, n'y connaît pas grand chose en emploi des jeunes. Mais ce n'est pas grave.
Les menacés
D'autres déchus ont franchi le petit Rubicon de la candidature Borloo. En début de semaine, le Figaro nous gratifiait d'une article menaçant pour ces nouveaux traîtres. Qu'on se le dise, Nicolas Sarkozy n'est pas content. Fini de jouer, finie la clémence.
Dans un sondage, 60% des personnes interrogées pensaient que Sarkozy ne serait « certainement pas » ou « probablement pas » réélu en mai prochain. Le candidat Sarkozy, lui, reste persuadé qu'il a toutes ses chances et qu'il sera même le seul candidat à droite. Charles Jaigu, du Figaro, livrait quelques confidences d'un « compagnon de route du président ». On devine que c'est Henri Guaino qui parle, Claude Guéant étant alité depuis son opération cardio-vasculaire mardi dernier. Ainsi, ce courageux anonyme élyséen expliquait que «Borloo ne décolle pas parce qu'on fait tout pour ça» . On espère, à l'Elysée, que Borloo se ralliera à Sarkozy dès le premier tour, et que Villepin ne pourra concourir : « Cela permettra au président d'envisager un premier tour à 31%, comme en 2007 ».
D'où vient cette soudaine assurance ? En coulisses, Nicolas Sarkozy continue la menace individuelle directe vers les « francs-tireurs ». Les prochaines sénatoriales sont l'occasion de jolies pressions. L'attentisme relatif de Borloo, qui attend les premiers jours d'octobre, lui laissent aussi un peu de latitude.
Et pour couronner le tout, Sarkozy laisse à d'autres la droitisation du climat politique, telles la suppression de la durée légale nationale du travail (Novelli/Copé), ou l'interdiction de la bi-nationalité ou du droit de grève pendant les vacances (Lionnel Luca). Les trublions de la droite populaire ont ainsi déposé, le 13 juillet dernier, veille de fête nationale, une proposition d de loi visant à élargir la pénalisation des outrages à la nation à toute injure publique et verbale contre « les symboles qui s’attachent à la Nation Française et tout particulièrement au travers de moyens d’expression tels livres, CD, concerts ».
A l'encontre de Borloo, aucune attaque directe. C'est toujours un « ami ». Quand Sarkozy menace, c'est en coulisses. Concernant Villepin, c'est carrément l'ignorance. On attend le prochain jugement de Clearstream en septembre.
Les protégés
Le Monarque et ses proches font surtout mine d'ignorer d'autres soucis, moins politiques, plus judiciaires. Le site Mediapart a continué ses révélations, le 20 juillet, sur les troubles relations entre Ziad Takieddine et Nicolas Sarkozy.
La semaine dernière, le site d'information démontrait que : (1) l'intermédiaire s'était légalement et très fortement enrichi grâce à de juteux contrats de ventes d'armes conclus ou initiés par l'équipe Balladur, (2) Nicolas Sarkozy a validé le montage fiscal des ventes 1994/1995 quand il était ministre du budget, puis conduit la négociation d'un gigantesque contrat militaire avec l'Arabie Saoudite en 2004 alors qu'il n'était que ministre de l'intérieur (350 millions d'euros de commissions !), négociation annulée par Jacques Chirac, (3) Takieddine a été ensuite exempté d'impôts sur le revenu ou le patrimoine en France alors qu'il y est résident fiscal, et (4) il a invité à titre privé, dans ses yachts, avions ou villas, le premier cercle des proches de Nicolas Sarkozy (Hortefeux, Guéant, Charon, Gaubert, et même Copé). On savait également que les juges van Ruymbeke et Le Loire soupçonnent l'intermédiaire d'avoir rétrocédé une belle fraction de ses millions à la campagne présidentielle de Balladur.
Mercredi, Mediapart ajoutait quelques pièces au dossier. En mai 2010, l'homme d'affaires prétendait avoir été victime d'une tentative de meurtre en avril 2004, alors qu'il était en vacances en famille sur l'île Moustique. Selon Mediapart, Thierry Gaubert, ancien proche collaborateur de Sarkozy, confirme le soupçon. Et le site décrit comme Jean-François Copé, alerté puis aidé par Gaubert, a dépêché une équipe médicale pour soigner puis rapatrier Ziad Takkieddine en France. Problème, Copé était ministre du budget.
Pourquoi donc un ministre, flanqué d'un conseiller du ministre de l'intérieur, a-t-il déployé autant d'énergie pour sauver un fournisseur ?
En Sarkofrance, la presse reste timide. L'opposition socialiste ou écolo s'intéresse enfin à l'affaire. Un député socialiste a bien demandé à la nouvelle ministre du budget pourquoi Ziad Takieddine n'avait jamais été inquiété par le fisc malgré une évasion fiscale prouvée et avérée. Valérie Pécresse opposa une fin de non-recevoir, au nom du secret fiscal. La commission des finances s'est donc saisie du dossier. On attend avec impatience ces conclusions.
Pourquoi faut-il que des parlementaires - et non une justice réputée indépendante - soient obligés de se saisir d'un tel scandale ?
Les remerciés
Autre affaire, autre trouble : d'après Mediapart et le Canard Enchaîné, Bernard Tapie avait passé un accord avec André Guelfi, homme d'affaires emprisonné un temps dans le cadre de l'affaire Elf et ancien proche du RPR des Hauts-de-Seine, en vertu duquel chacun reverserait à l'autre la moitié des dédommagements éventuels qu'ils recevraient de deux litiges parallèles, le premier contre le Crédit Lyonnais, le second contre Total. Mercredi, Mediapart publiait même un extrait du dit contrat, par lequel les deux hommes créaient une société commune basée dans un paradis fiscal (Malaisie), pour recueillir les fruits futurs de ces deux procès. Les avocats des deux parties expliquent aujourd'hui que ce contrat est sans valeur car il n'avait pas été validé par le tribunal de commerce.
Le 4 août prochain, la commission des requêtes de la Cour de Justice de la République doit, enfin, se prononcer sur la nécessité ou pas de lancer une instruction à l'encontre de Christine Lagarde, la nouvelle directrice du FMI, à cause de son rôle trouble dans la procédure arbitrale qui aboutit à dédommager Tapie de quelques 300 millions d'euros dans l'affaire Crédit Lyonnais. Mediapart complète : « on apprend ainsi, par-delà toutes les protections en haut lieu dont Bernard Tapie a profité, jusqu'à l'Elysée, qu'une bonne partie des 300 millions d'euros de fonds publics qu'il a perçus devaient secrètement partir vers un paradis fiscal... en Malaisie! » (*)
Sans blague.
(*) article payant.