Une certaine idée de l’Inde
Alberto Moravia
Alberto Moravia fera ce voyage en Inde en 1961 en compagnie de Pier Paolo Pasolini dont nous avons parlé tout récemment.
Le livre de Moravia sur l’Inde est vraiment très différent de celui écrit par Pasolini. Il est d’ailleurs assez amusant de penser que ces deux hommes ont fait ensemble ce voyage alors que beaucoup de choses les séparent.
Avec Moravia on n’est pas dans le lyrisme, mais tout de suite dans la vitalité de l’action, la forte intellectualité. Moravia a bien réfléchi à l’Inde et il s’exprime volontiers sur le mode affirmatif ou provocateur.
Le livre commence par un dialogue musclé sur la religion ; on évacue d’emblée les incompréhensions des Européens qui ignoreraient tout de l’Inde. « L’Inde n’est pas le pays d’une religion historiquement définie, avec un fondateur, un développement, un passé, un présent, un futur. L’Inde est le pays de la religion comme situation existentielle. De la religion sans rien d’autre. Disons que même dans l’hypothèse absurde où, en Inde, il n’y aurait pas de religions, l’Inde serait quand même le pays de la religion ». Et encore, dans ce même dialogue : « Bon, je vais te dire ce par quoi j’aurais pu commencer : l’Inde est une conception de la vie ».
Moravia a, comme Pasolini, beaucoup d’observations justes sur l’Inde. Il note : « Mais pour un Européen, ce qui distinguera toujours l’humanité indienne, ce sont avant tout ces visages ouverts, expressifs et avenants. En ce sens, l’Indien est beaucoup plus proche des Européens que de ses frères asiatiques de race mongole ou sémite, lesquels, selon une réputation un peu facile et conventionnelle, passent pour des gens mystérieux et d’un abord difficile ».
Moravia évoque aussi bien sûr les bûchers de Bénarès et la mort. « La conception indienne de la vie représente pour l’Européen à la fois un paradoxe et une tentation. En effet, si elle est contraire à la sienne, elle est aussi la voie unique à laquelle, dans un moment de lassitude et de dégoût, il puisse recourir avec quelque utilité ».
Nous avons lu avec un fort intérêt le chapitre consacré à sa rencontre avec Nehru. Moravia cherche à décrypter ce personnage qu’il admire. Pour Moravia, Nehru est un intellectuel, un libéral et un introspectif. « Le peuple indien s’es reconnu dans cette sagesse du doute de Nehru bien mieux que dans le sectarisme violent d’un Chandra Bose ; si bien que Nehru, après Gandhi, est l’homme le plus aimé du sous-continent ». Ce chapitre consacré à Nehru est vraiment très intéressant.
Ce livre nous permet surtout de comprendre comment l’Inde pouvait être vue par ces intellectuels européens des années 60. Et on sent dans ce livre la puissance intellectuelle de Moravia. Il serait sans doute très surpris de voir, cinquante ans après ce voyage, que les castes, même abolies, sont toujours là.
Oui, un excellent livre que l’on recommande volontiers.