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Les zones ignorées, de Virginie Gautier, images de Gilles Balmet, aux éditions du Chemin de Fer

Par Dominique_lin

zones ignorees2Lorsque les vagues des fortes marées de l'Atlantique bousculent votre corps au point de suspendre votre souffle, vous êtes acteur et spectateur à la fois. C'est vous qui décidez de les contrer ou de vous laisser emporter. C'est vous qui ressentez les mille détails de l'instant. Les ressacs sont comme des rires et des pleurs issus de la même veine. Ils vous forcent à explorer des zones ignorées de votre être.
Voilà ce que m'inspire l'écriture de Virginie Gautier dans laquelle une seule phrase peut vous submerger. Du simple élément à l'univers tout entier, la puissance des mots m'a baladé comme une marionnette. Ce n'est pas un livre mais une symphonie. Qu'importe le fond pourvu qu'on ait la forme… Et cette Virginie a du style !
Cette chronique s'est écrite seule, avant d'avoir terminé le livre. Les premières pages, que dis-je, les premiers mots, m'avaient alerté du plaisir que j'allais ressentir. Le jeu a été d'arriver à la dernière page le plus tard possible, pour me baigner dans cette foison longtemps, longtemps…
Partageant mon ressenti avec l'éditeur, celui-ci me confia que certains lecteurs avaient été déroutés. Parlait-il de la force des vagues qui oblige un marin à changer de cap?
Il me faut en venir à l'histoire, que raconte ce livre? On pourrait résumer "Zones ignorées" par la déambulation d'un sans-abri dans les rues de Paris. Chaque lieu, recoin, objet… est vu sous le prisme de l'errance. Pas de pathos, pas de sensiblerie disgracieuse, juste une vision du monde avec des lunettes teintées aux rayons "SDF". Mais cela ne veut rien dire, car à le lire, vous entendrez résonner les mots, les phrases dans l'univers d'écriture de Virginie Gautier que je vous laisse apprécier.
Extraits :
« Tu dormais et voilà que tu te réveilles.
Des jours de souffrance opacifiés par des années d’intempéries, de suies, de feuilles pourrissantes, filtrent la lumière en une lueur blanchâtre. Elle pénètre difficilement jusqu’ici mais c’est bien elle qui vient et le jour implacable chasse le peu de chaleur, de silence, conquis par le sommeil. Le grondement des moteurs s’amplifie, les passages, rapides puis ralentissant à mesure que le nombre progresse, se calent sur une fréquence et un bruit de fond familier. Tu descends du tertre où tu étais perché laissant en arrière des relents de cartons amollis, de serviettes mal séchées sauf les odeurs du corps qu’on emporte avec soi.  »
« Être soudain si proche.
Toucher du doigt la surface lisse ni tout à fait bleue ni tout à fait verte, hachurée. Quelques griffures sous tes mains, invisibles dans le motif, tes doigts s’y attardent quand ils ne sont pas occupés à recouvrir le globe tiède. Le verre est joufflu, familier comme la surface de la table. Tu es entré dans le monde des objets domestiques, tu les retrouves, inentamés, indifférents aux mains qui les touchent, aux mots qui se décollent des lèvres, avec réticence. On pioche des blocs de sucre. On caresse négligemment la forme renflée, lisse et chaude, savourant ce contact autant que son contenu. »
« Un banc pour un vieux, une vieille, un ivrogne qui finira par s’y allonger de tout son long, totalement sourd aux mouvements autour de lui et à la tombée du jour, sa fraîcheur, son ventre à l’air – pour un passant parlant seul avec de grands gestes dans l’air – une bande de cinq ou six qui passent la bouteille.
Ils se succèdent sans se croiser, les oiseaux le savent et guettent le solitaire, qui épluchera son pain, les aura à ses pieds. Un banc en attente, vers où lorgnent des pigeons prêts à fondre sur quelques miettes, en un amas gigotant lustré écœurant de pattes écorchées, de plumes traînantes, de têtes pelées. Le petit peuple de la survie contraint au ras de terre, privé de l’envol qui fait sa qualité. Tu passes au bord sans te décider à t’asseoir ou à ne pas t’asseoir.
Les piétons par habitude décrivent une large courbe pour contourner le siège tandis qu’au-delà les chemins convergent vers l’abri du bus ou l’escalier du métro dans lesquels ils se tiendront serrés les uns contre les autres. »
« Tu fermes les yeux, aspiré par le vide tiède que ton corps referme comme un couvercle et enflent alors les souffles, les échos, les soupirs d’une cité sous terre. Murmures tirés des fonds, pressentiment de voûtes humides, de catacombes, eaux claires des puits souterrains, silence distendu. Et enflent alors les chocs assourdis des machines, sifflements, circulation des fluides, bruit de pompe, aspiration, éjection - ce qui ne se tient plus adossé dans le jour se relie au-dessous en venelles et couloirs, enchevêtrement de câbles, de tuyaux confondus-dissociés - fuite des corps, battement des cœurs innombrables et spasmes peut-être, imprévus.
Il n’y a pas de périphérie, de jour de nuit, ni d’extinction.
La ville jamais ne se referme, les errements se perpétuent, les sons les signes s’articulent sans fin. Fleurs lumineuses qui clignotent, s’ouvrent ou se ferment, feux follets, braseros, sirènes, meutes, bruits de cascades, chant d’engoulevent te conduisent- tu ne leur accordes pas moins de réalité- vers un sommeil de courte durée. »

Les zones ignorées, Virginie Gautier, images de Gilles Balmet, Les éditions du Chemin de Fer
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