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Entretien avec James Sacré (par Tristan Hordé)

Par Florence Trocmé

 

 

Tristan Hordé : Je voudrais revenir, une fois de plus pour toi ! sur la distinction entre prose et poésie dans la mesure où tu conserves le signe classique du vers, la majuscule en début de ligne.

 

Sacre_1_dsc_0046_3_copie James Sacré : Je pense que la majuscule ne différencie pas la prose des vers (je n’oppose plus prose à poésie, si je l’ai jamais fait autrement que par une façon de parler trop courante encore : la première plaquette que j’ai publiée, à compte d’auteur, comportait surtout de la poésie en prose mêlée de quelques vers).
La majuscule se met aussi bien en début de paragraphe qu’en début de verset ou de vers. Et si je persiste (j’y insiste même, le plus souvent) à l’employer c’est seulement parce qu’elle permet de marquer, avec précision, le début de tous ces éléments du poème, ou du livre de poèmes, que sont les vers, versets ou paragraphes.
Pour le redire de la façon la plus succincte : un vers, pour moi, est une petite prose qui occupe moins d’une ligne dans une page de texte ; une longue prose peut être comprise comme un vers qui n’en finit pas de trouver sa fin.

 

 

T. H. : Cependant, puisque tu ne différencies pas prose et vers, quand tu écris « un vers est une petite prose », on ne voit pas clairement ce qu’est le critère de dimension, ou : ce qu’est la prose, ce qu’est le vers.

 

J. S. : Je veux dire simplement que dans ce que je donne à lire comme poème, une mesure de texte qui ne remplit pas la ligne est un vers. Et si j’ajoute qu’une mesure de texte qui n’en finit pas de trouver sa fin est également un vers, alors, bien sûr on peut dire que dans un poème tout est indifféremment prose ou vers. Mais je force ainsi de façon quelque peu outrancière ma pensée. Disons que tout est, comme on préfèrera dire, prose ou vers dans le poème, mais qu’il y a des vers-prose particuliers qui sont ceux qui ne remplissent pas plus d’une ou deux lignes du texte. Ceux qu’on dénomme d’habitude « vers ». Ce que je voudrais affirmer ici c’est que je n’écris pas autrement en prose qu’en vers, sinon que j’introduis avec ces derniers une pause ou coupure qui arrive vite après le début du texte, et qui produit un effet de rythme particulier.
Mon souci n’est pas d’écrire en prose ou en vers, mais d’utiliser plus ou moins, et selon le développement du poème, ces coupures rythmiques qui peuvent se produire aussi bien après par exemple des mesures de douze syllabes qu’après toute une allongée de texte sur plusieurs lignes, ou sur plusieurs pages.

(…)
Quoi le bonheur ? Le matin naît dans la rencontre d’un gris (pluie, maison délabrée) et d’objets. Un encrier est immédiat — une faïence et des pommes rouges : demandent-ils un poème ? Leur présence est-elle vraie ? J’écris bien ce poème mais où pèse le temps que j’envahis ?

 

Chiens leur gueule arrache
Un préau vent des arbres puis
Grand silence au bord des buissons
Ils restent longtemps liés je pense
À si longue tension rouge (corde
Tirée
moulinet treuil amoureux
Douleur qui la tient) après le mâle
S’en retourne et lèche
Le membre lâché (quoi pèse dans sa honte ?)

(…)

 

Des animaux plus ou moins familiers, André Dimanche, 1993 , p. 39-40.

 

 

T. H. : Un des motifs de ta poésie, c’est le vécu le plus quotidien, ce que chacun peut voir : un marché, les gens dans un café, un âne et sa charrette, etc. Le poème se construit avec les mots qui décrivent cette réalité et en même temps tu doutes du bien-fondé de tes descriptions. Par ailleurs (impression pour certains poèmes) est-ce que ce ne sont pas les mots qui entraînent, et non ce qui a été vu ?
Une question liée à la précédente. N’est-ce pas à la fois la tentative de description et tes doutes vis-à-vis de cette tentative qui font du poème un « objet de langue » ?

 

J. S. : On peut penser la chose d’une autre façon : les mots du poème ne décrivent peut-être pas une réalité, un paysage par exemple ; je pense que c’est plutôt tel paysage qui donne des mots au poème (on peut même se demander s’il ne lui donne pas du rythme, ou des façons de dire… mais il est plus difficile de répondre à cette dernière interrogation possible. D’où je crois mon continuel retour sur ce rapport du paysage (ou d’un visage, d’un objet quelconque du monde) à l’écriture.
Et bien sûr une fois le mot donné, c'est-à-dire en somme lâché par le paysage, il n’arrive pas si simplement dans mon poème : le voilà qui passe d’abord en quelques fractions de seconde par des dictionnaires, par ma culture, par des cultures (celle dont m’a pourvu l’école, celle que j’ai connue à la ferme des parents, et par plein d’autres « formations » que j’ai subies ou à l’occasion inventées à travers des habitudes de vie que j’ai peu à peu prises). Ce qui arrive dans le poème n’est donc pas ce qui a été vu (voir n’avait même, peut-être, pas si grand-chose à voir avec le seul paysage). Comment ne pas revenir, quasiment de façon obsessionnelle, sur cet imbroglio de rapports que je n’arrive pas à démêler ? Sur cet objet de langue, en effet, qu’est le poème, mais qui reste, à mon sens, et cela ne simplifie rien, un objet de vie ?

 

T. H. : Je comprends bien qu’il s’agit d’un « objet de vie », mais c’est évidemment autour de cet imbroglio que ma question portait.

 

J. S. : Cet imbroglio est d’autant plus difficile à cerner ou à décrire qu’on n’en voit dans le poème que la matière langagière. Je ressens bien que cette matière a été liée à travers mon désir d’écriture à mon regard sur un paysage par exemple, et aussi bien sur mon poème en train d’être écrit, mais tout cela (le vivant de l’objet langue) disparaît malheureusement au fur et à mesure que le poème arrange ses mots. Je ne peux qu’en avoir un souvenir qui lui aussi va s’évanouir dans les mots si l’envie me vient d’en parler. Ce « vivant » cependant renaît dans le regard qu’un éventuel lecteur aura sur le poème, par les mouvements qui vont s’activer alors en sa pensée ou sa rêverie. Mais il s’agira forcément d’un autre moment, d’une autre expérience du vivant (même si des ressemblances avec celui vécu par le poète sont probables). Ce que je ne suis pas capable de théoriser, c’est cette aptitude du poème à exister entre plusieurs expériences du vivant qui diffèrent les unes des autres tout en se ressemblant.

 

T. H. : Tu évoques les dictionnaires. Le lecteur de tes livres, et c’est vrai pour le dernier, Un Paradis de poussières, doit aller consulter un dictionnaire, souvent un dictionnaire spécialisé, s’il ne veut pas laisser dans l’obscurité un fragment du texte. Dans ce dernier livre, je pense aux termes relevant de techniques agricoles anciennes (ranche), à des mots fort peu courants de botanique (cenelle) ou à des usages dialectaux (dorne).

 

J. S. : En cela le poème (mais c’est vrai je crois pour tout texte) fonctionne bien comme un dictionnaire : ce livre qu’on lit comme un ouvrage public en le nourrissant de son expérience privée ; et dont on sent bien que le côté public des mots est né de mille expériences privées liées quelque part à ces mots. Que le mot soit banal ou rare ne change rien à l’affaire : « cenelle » ou « dorne » te deviennent très rapidement familiers en touchant (je ne sais trop comment) à plein de souvenirs, de sentiments qui s’avivent bientôt, à leur appel, en toi. Pour le poème qui n’est pas composé seulement de listes de mots, mais d’arrangements de ces mots, la même chose se produit pour des syntaxes, des moyens rhétoriques, des rythmes qui eux aussi peuvent nous paraître plus ou moins familiers dans leur emmêlement du convenu et du singulier.

 

T. H. : Le parti pris de la description, à l’écart d’une partie de la poésie contemporaine (description qui repose sur des notes, des photographies), ne me semble pas viser à restituer le « réel », mais plutôt un chemin vers l’imaginaire, et un moyen d’arrêter quelque chose du temps, par exemple quand dans la description vient s’insérer un souvenir de l’enfance.

 

Sacre_2_dsc_0050_copieJ. S.J’aimerais pouvoir dire que mes descriptions sont quand même une tentative de rencontre avec le réel (du moins avec le réel tel que je le ressens) et dire que l’imaginaire a sa part dans cette rencontre, ou plus exactement dans ce désir de rencontre. Mais pas dans une suspension du temps (malgré l’importance du mot « paradis » dans mon dernier livre, mot d’ailleurs aussitôt mouvementé en poussières). L’enfance n’est jamais le passé qui rejoindrait le présent et abolirait le temps. Les souvenirs de l’enfance (il y en a beaucoup certes dans mon poème) ne sont que l’idée ou les images présentes que je me fais d’un passé forcément impossible à rejoindre : j’y invente à chaque fois cette enfance. Ou bien quelque chose reste de l’enfance en mon être adulte et s’y manifeste, probablement à mon insu (et pas forcément là où je pourrais penser l’entendre).

 

T. H. : Le souvenir de l’enfance qui vient s’insérer, etc., est un élément de l’imbroglio dont tu parles et, plutôt que de parler « d’arrêter quelque chose du temps » (pas « d’arrêter le temps »), j’aurais peut-être dû dire « mêler les temps » (comme Queneau donnant pour titre à une fiction Les Temps mêlés), étant entendu que tous les passés, y compris les moments vécus rapportés dans la description sont plus ou moins inventés. Je lis dans Un paradis de poussières : La drôle de charpie que c’est le temps (p. 81) et : les mots comme une couture au temps (p. 82).

 

J. S. : Oui, emmêler les temps… il me semble bien qu’ils le sont de toute façon, mais peut-être qu’il y a la même sorte d’insaisissable rapport entre le présent et le passé qu’entre les mots qu’on écrit et l’expérience dans laquelle on les écrit. C’est là-dessus que je m’interroge, et je n’arrive qu’à être dans le présent (même quand je construis ces paragraphes aux temps verbaux qui se chevauchent de Paysage au fusil (cœur) une fontaine : c’est toujours, me semble-t-il, le seul présent qu’on entend.

Il y a paysage un comme les mots de Góngora jetés le vent le bleu qu’à travers des nuages paraît les répartir dans reportée à sans fin dans l’infini dans la proche pourtant campagne. Paysage pour que solitaire il soit le poète un qui rêve chasseur : désordre et lumière à la fois chassés rassemblés.

 

Dans serait un printemps l’hiver qui le prend il paraît c’est au centre épineux désordre qui se détend viornes sèches ronces d’un buisson la lumière écorchée du jour elle égratigne ah plaisir sang vrai dans le temps avec les dernières feuilles des peupliers soudain pourquoi ce fusil une seule grive flèche le paysage d’une chasse puis le bleu.

 

Paysage au fusil (cœur) une fontaine, dans Cahiers de poésie, 2, Gallimard, 1976.

 

 

T. H. : Paradis : « mot mouvementé en poussières ». Oui, et non : ce n’est pas le seul exemple, et le paradis peut être « heureux » : cf. « un paradis dans la bouche » (à propos du couscous).

 

J. S.Le présent du poème : ce fugitif paradis du poème. Bien sûr qu’il peut être heureux, mais le bonheur lui aussi finit par n’être plus que poussières, et mort.

 

T. H. : Qu’est-ce qui demeure du passé dans ta poésie ?

 

J. S. : Je crois, c’est sûr, que le passé vient nourrir mon présent pour que dans son mouvement vers un autre présent, et ainsi de suite, dans une précipitation en avant, il devienne du futur. Un autre poème par exemple après celui qu’on vient d’écrire. Puis un autre livre après le précédent. Du futur qu’on ne verra jamais que sous forme de présent. Et ce qui s’accumule ainsi est-il du passé ? Oui sans doute, mais on ne saura jamais quel passé puisque toute lecture en réactive aussitôt l’incessante transformation en présent pour du futur chimérique : après une lecture il faut relire. Il n’y a que dans l’insaisissable moment présent qu’on croit se saisir de quelque chose, sans qu’on sache de quoi. Et on s’imagine que c’est de ce passé soudain rendu vivant là dans nos gestes d’écriture.
Je parle du poème : il semblerait que la science (à cause des choses efficaces et fonctionnelles qu’elle invente) se débrouille mieux que la poésie dans ces entourloupes et distorsions du temps.

 

T. H. : Tu es souvent invité pour des lectures. Comment se passe le passage des poèmes écrits à leur lecture ? Est-ce que tu « écoutes » ton texte en l’écrivant ?

 

J. S. : Oui, vraiment, j’écoute mon texte en l’écrivant. En le lisant aussi. Mais qu’est-ce que j’écoute alors ? Ce n’est pas plus le sens (l’ensemble des motifs de sens qui s’y manifestent) que par exemple les images ou les petites machines sonores qui s’y installent. Pas plus les tournures grammaticales qui me viennent, que les rythmes prosodiques choisis ou soudainement donnés (se dit-on). C’est tout cela ensemble que j’entends, qui me permet de modeler, de boulanger ce que je finis par appeler un poème. La boulange est moins facile durant la lecture : plus rapide certes, plus décisive mais irrattrapable quasiment, si on a un geste maladroit.
Et quand j’écoute en lisant mon poème j’ai le sentiment de m’en aller dans la matière du texte comme sans y penser, de légèrement, ou durement, lutter avec elle, me raccrochant à tel ou tel détail un peu saillant, virgule rythmique, point d’interrogation, fin de vers ou de paragraphe, bruit du sens à travers la précipitation continuée de la prosodie ou ses soudaines scansions heurtées, comme s’il s’agissait de traverser à la nage un courant mal maîtrisable auquel il faut s’abandonner un peu aveuglément, pour arriver jusqu’à l’autre rive.
N’est-ce pas aussi de cette façon (mais dans plus de tâtonnements et de retours sur les traces) que j’écoute en écrivant ?

 

T. H. : T’arrive-t-il d’avoir à lire des textes d’autres écrivains ? Si oui, comment les « prends »-tu pour les lire ?

 

J. S. : Oui, cela m’arrive. Je ne cherche pas alors à imaginer comment leur auteur les aurait lus. Comment le saurais-je vraiment ? Je les prends comme s’ils étaient miens, et ma façon de les lire évidemment les emporte autrement que leur auteur aurait pu prévoir. C’est en fait la même chose que de penser/rêver les mots de ce poème dans toute lecture qu’on en fait. J’en parlais tout à l’heure : on rencontre forcément un poème dans beaucoup de malentendus (à cause de nos expériences singulières, de nos lectures, de nos habitudes, etc.) mais on le rencontre cependant. Comme on rencontre quelqu’un : on ne connaît jamais de façon sûre et définitive son visage, le fond de son sourire ou de ses colères. On reconstruit à chaque instant son image (par le moyen de jugements, de sentiments, d’interrogations).

 

T. H. : Tu as passé plusieurs mois aux Etats-Unis en 2007 et beaucoup photographié. Quel rôle joue pour toi la photographie ? Tu abordes la question à plusieurs reprises, par exemple dans Âneries pour mal braire ou dans Un paradis de poussières. Par ailleurs tu as écrit à partir de photographies de Lorand Gaspar.

 

J. S. : Les photos que je prends sont des sortes de notes. Je sais cependant qu’il vaut mieux m’arrêter pour commencer un brouillon de poème sur le motif que prendre une photo. Le paysage donne plus à ce brouillon qu’à ma mauvaise photo. Et de fait ce n’est pas en regardant plus tard ma photo que je vais mieux m’en aller dans un poème (sauf à la regarder comme un nouvel objet, sans chercher à me souvenir de ce qui a été photographié). C’est je crois au moment que j’ai pris la photo que quelque chose a commencé : cadrage dans le paysage, attention à tel détail de couleur, sensibilité au temps qu’il fait à ce moment là, aux bruits qu’on entend, à une odeur peut-être… toutes choses qui ne paraîtront pas sur la photo… et des mots sont venus alors … ils font un peu leur chemin, un moment, ils sont presque à mon insu un brouillon de poème, et c’est peut-être la vie de ce brouillon que ranime plus tard ma mauvaise photo (le mêlant d’un autre brouillon second qui se forme quand je regarde la matière de la photo prise à son tour dans celle du lieu et du temps qui baignent mon regard).
Les photos de Lorand Gaspar, bien sûr, sont tout autre chose : leur complexité à la fois pensée et sentie, la richesse de ce qu’elles proposent (venue de façons de faire, de savoirs techniques, d’expériences fortement vécues en pratiquant la photo) me donnent aussi toute une matière de langage (comme ferait un vrai paysage) mais m’interrogent aussi, m’inquiètent ou m’emportent au-delà de ce que je pouvais prévoir à cause du sentiment de beauté ou de forte présence que je ressens devant elles, et parfois à cause d’une fragilité en elles, ou d’une hésitation : c'est-à-dire à cause de l’énigme vivante qu’elles sont – comme l’est toujours, au moment où je prends mes pauvres photos, le paysage qui s’évanouit dans mon appareil.

 

T. H. : Mais tu accompagnes un de tes livres avec des photos que tu as prises (la tête d’un âne, une dent d’âne,…). L’idée de « pauvres photos » me gêne, d’abord par sa subjectivité : on peut trouver belle la photo d’une tête d’âne, qui pour tel lecteur interroge, inquiète, ou emporte bien loin – par exemple dans l’enfance.

 

J. S. : Dans Âneries pour mal braire il y a une seule photo que j’ai moi-même prise : celle de l’ânesse et de son petit entre Goulding et Kayenta. Je n’ai pas voulu dire que la photo était pauvre à cause du sujet photographié. Je suis bien d’accord avec toi que la photo d’une tête d’âne m’emporte au contraire en tout une aventure de poèmes où j’éprouve du plaisir, de l’inquiétude, une grande richesse de sentiments et de pensée, certes. Non, j’ai simplement voulu dire que mes propres photos sont toujours des photos de peu de valeur, mal prises le plus souvent… bref, je ne suis pas un photographe.

 

T. H. : Comment se construit un livre, qui n’est jamais simplement chez toi un « recueil » de poèmes, même si plusieurs ont été auparavant publiés dans des revues ? Je pense, notamment, au dernier paru, où alternent des ensembles descriptifs et des ensembles où le sujet, le narrateur s’expose.

 

J. S. : Un livre se construit comme se construit un seul poème. Ou peut-être même un seul vers ou un seul paragraphe : par réarrangements successifs de tous les éléments (ceux en tout cas que je perçois très consciemment, et d’autres sans doute dont je m’aperçois après coup qu’ils sont là, ou qu’un éventuel lecteur me signale), de tous les éléments de sa matière.
Après l’écriture d’un certain nombre de poèmes me vient l’envie de les mettre dans une suite un peu pesée/pensée. Puis d’autres poèmes s’ajoutent qui bousculent ce premier arrangement, et j’arrive finalement à cette composition globale de l’ensemble et c’est comme d’écrire un dernier poème : titres à trouver, ou à compléter, des diverses séquences, ordre de ces séquences, constructions qui se chevauchent de plusieurs ensembles, lesquels se répondent ou s’interrogent, se critiquent ou se complètent (comme dans ce dernier livre que tu évoques, Un paradis de poussières : où donc sont les poussières ? Dans les poèmes les plus descriptifs ? Là où une voix croit s’exposer plus qu’en décrivant ? Ou si c’est moins ? Va savoir. Et quel paradis brille entre ces deux lignes d’écriture, dans leur écart en même temps que dans leur emmêlement ? Est-ce que l’arrangement final de la matière du livre n’est pas tout entier déjà dans son titre (dont je ne me souviens plus, et c’est sans importance, s’il est venu avant ou après le reste du livre) ?

 

T. H. : Le livre d’artiste tient une bonne place dans ton activité. Qu’est-il pour toi ?

 

J. S. : J’aime bien écrire dans la compagnie de peintures ou de photographies c’est vrai.
D’abord il y a ce sentiment que ce faisant, justement, il me semble que quelque chose de ce qui a provoqué la venue du poème reste présent là à côté des mots. Dans le cas où c’est l’œuvre de l’artiste qui précède le poème ; dans le cas contraire je suis toujours étonné, interrogé ou comblé, par les images qui peuvent prolonger ou bousculer, contester, les poèmes.
Ensuite la pratique du peintre, du graveur ou du photographe m’éclaire sur mes façons d’écrire, et m’aide à préciser ce que pourrait être un poème. Par exemple une chose donnée à voir d’un coup (en plus d’être aussi ce déroulé linéaire qu’il est), comme une image : j’ai souvent désiré qu’on puisse entrer dans le poème par n’importe quel endroit comme on fait pour un tableau, et que l’œil puisse s’y promener librement. J’ai mieux compris, à cause des peintres, qu’un poème est aussi un montage de motifs divers (motifs de sens, de figures, motifs sonores, graphiques…) qu’il faut rythmer dans l’étendue de la page ou du livre. Comme le peintre fait avec ses couleurs, ses transparences ou ses épaisseurs de matières, ses éléments figurés ou abstraits…
Et d’autres questions qui me sont aussi posées : qu’est-ce qu’une couleur dans un poème ? Et un dessin ? Une lumière ?

entretien réalisé par Tristan Hordé. Photos ©Tristan Hordé

James Sacré dans Poezibao :
Bio-bibliographie,
Extrait 1 (trois textes),extrait 2, extrait 3Trois anciens poèmes mis ensemble pour lui redire je t'aime(Cadex, 2006),
Âneries pour mal braire et Broussaille de Prose et de vers,note de lecture de Tristan HordéKhalil El Ghrib, une note de lecture de Tristan Hordé
Un paradis de poussières, note de lecture de Tristan Hordé


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