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Note de lecture : François Pinet, "Tourangeau La Rose d'Amour", bottier des élégantes (1817-1897), par Xavier Gilles.

Par Jean-Michel Mathonière

Voilà l'exemple d'une recherche généalogique qui dépasse le seul intérêt familial pour donner lieu à une intéressante biographie et à un livre. Qui plus est, il s'agit de la vie d'un compagnon cordonnier-bottier du Devoir, racontée par l'un de ses 74 arrière-arrière-petits enfants.


François Pinet n'est guère connu aujourd'hui alors qu'il acquis une célébrité méritée durant la seconde moitié du XIXe siècle. Il fut un créateur de mode, le chausseur des célébrités de son temps et un grand industriel de la chaussure. L'enseigne existe pourtant encore à Paris, 1 boulevard de la Madeleine et à Londres, 47 New Bond Street.

Avec objectivité et une grande précision due à la patiente recherche de documents d'archives inédits, Xavier Gille restitue la vie de ce personnage au cours des principaux chapitres suivants (outre une préface de Bertrand Heyraud, un prologue, un épilogue, les sources, les remerciements) :

Suite:

L'enfance (1817-1830)
Le compagnon (1833-1844)
Le commis-voyageur (1845-1847 et 1849-1854)
Le "révolutionnaire" (1848)
Le créateur d'entreprise (1855-1862)
L'industriel innovateur
Le commerçant exportateur
L'artiste de l'élégance et du confort
Le franc-maçon
Le patron philanthrope
Syndicaliste patronal
La chaussure française au XIXe siècle
Le père de famille
Les dernières années
Les chaussures Pinet après François
Notes biographiques sur les contemporains de F. Pinet

Autant de solides chapitres qui permettent d'appréhender l'ascension sociale du jeune François Pinet, né le 19 juillet 1817 à Château-la-Vallière (Indre-et-Loire), d'un père cordonnier (peut-être compagnon) qui meurt de maladie en 1830, à 41 ans. François a déjà perdu sa mère et est rapidement abandonné par la seconde épouse de son père, qu'il n'a connu que quelques semaines. Il est aussitôt placé en apprentissage chez un cordonnier du voisinage et, après trois ans de privations, il décide de partir sur le tour de France, le 9 septembre 1833. Il a 16 ans.

Il est inscrit aspirant à Tours puis part à Nantes en juillet 1834. En 1835, il travaille à Bourbon-Vendée (actuellement La Roche-sur-Yon) puis revient à Nantes pour y être reçu compagnon le 15 août 1836, sous le nom de "Tourangeau la Rose d'Amour", avec deux frères de réception. Son tour de France le conduit ensuite à Bourbon-Vendée, Niort, Angoulême, Bordeaux, Toulouse, Marseille (où il arrive le 5 avril 1840 et est élu premier en ville), puis Toulon, Avignon, Valence, Lyon, Châlon-sur-Saône, Auxerre et Paris. C'est là qu'avec Toussaint Guillaumou, il participera à la réforme des règles de sa société.

Probablement entré peu après dans le corps des anciens, il conservera cependant des liens étroits avec le compagnonnage des cordonniers-bottiers puisqu'il se montrera favorable à la Fédération compagnonnique de tous les Devoirs réunis et adhèrera à l'Union Compagnonnique en 1892. Il présidera régulièrement les banquets des cordonniers, offrira sa croix de Légion d'Honneur à sa société, se verra remettre une écharpe d'honneur... Favorable aux idées pacifiques de Perdiguier, il avait souscrit au Livre du Compagnonnage dès 1839 puis à La Lyre du Devoir, de Jules Lyon, en 1846. François Pinet est décédé le 8 janvier 1897 à Franconville (Val-d'Oise).


Sur le plan professionnel, F. Pinet devint "coupeur" à Paris, en 1844-1845, puis, en avril, son employeur, la maison Dreyfus, en fit son commis-voyageur, c'est-à-dire son représentant de commerce, pour proposer ses modèles dans toute la France. C'est en 1854 que s'amorce le tournant de sa carrière. Il dépose un brevet pour une fabrication spéciale de talon de chaussure de femme, en cuir embouti rempli de cuir, de gutta-percha ou autres matières, et adaptable au reste de la chaussure. Le but est de réduire le temps de fabrication du talon et de le rendre moins cher. Il crée ensuite la Société des Chaussures F. Pinet, qui connaît un démarrage fulgurant. Son chiffre d'affaires ne cessera d'augmenter, les commandes affluent, la qualité du travail plaît. Il asseoit sa réputation de créateur de chaussures en prêt-à-porter pour femmes, car ses modèles sont élégants et à prix abordables.

En 1862, il produit cinquante mille paires de chaussures par an et son chiffre d'affaires dépasse un million de francs. Deux ans plus tard, il fait construire de grands bâtiments au 44, rue du Paradis-Poissonnière (rue du Paradis), associant ateliers, bureaux et magasin. Il emploie alors 300 personnes. Il exporte désormais ses modèles dans toute la France, mais aussi à l'étranger. L'expansion de l'entreprise continue et en 1881 150 personnes travaillent sur place et 800 à domicile. François Pinet continue à déposer des brevets et il est régulièrement récompensé lors des expositions universelles. Il a étendu sa fabrication à la chaussure pour hommes et  emploie désormais 1200 personnes. Il chausse désormais la haute société de son temps, car les qualités de sa fabrication s'allient à l'élégance des modèles.


Bien d'autres aspects de la personnalité de François Pinet sont développés dans ce livre. Ainsi en est-il de sa participation à la révolution de 1848, comme délégué de la corporation des cordonniers chargée de présenter des projets de réformes au gouvernement. Ou encore de sa vie maçonnique : il est initié apprenti le 11 août 1857 à la loge Bonaparte et est élevé au grade de maître le 10 novembre de la même année. Il accèdera ensuite aux grades de Rose-Croix et de Chevalier Kadosch (la même année, en 1862). Il occupera diverses fonctions au sein de la loge Bonaparte, loge composée de membres de la famille de l'empereur Napoléon III et de personnalités au rang social majoritairement élevé. En 1872, il refusera la charge de Vénérable (président) en invoquant ses multiples activités et semble être entré en sommeil à partir de cette date.

Patron philanthrope, F. Pinet s'attachera à développer de bonnes conditions de travail au sein de ses ateliers, assurera un salaire supérieur à ses ouvriers, réduira la durée du travail et développera la mutualité au sein de son entreprise.

Il n'est pas possible de résumer tous les chapitres de ce livre fort bien documenté en dépit de quelques petites erreurs (p. 17 : l'initiation des premiers cordonniers n'eut pas lieu le 25 juin mais le 25 janvier 1808 ; la découverte du vieux manuscrit de l'ancien Devoir des cordonniers en 1807 est plus que douteuse quand on sait que les rites des cordonniers sont issus des tanneurs ; p. 19 : les compagnons cordonniers du Devoir de Liberté ne sont pas nés en 1811 mais en 1845 : ce sont les Sociétaires qui furent fondés à cette date ; p. 101 : "la franc-maçonnerie qui a emprunté au compagnonnage nombre de ses symboles, en particulier l'équerre et le compas", alors qu'elle s'est créée en Angleterre sans lien avec le compagnonnage français, qui, au XIXe siècle, a largement puisé dans les rites et symboles maçonniques pour modifier les siens.)

C'est une belle initiative que celle d'avoir redonné vie à un grand créateur de mode dans la chaussure et à un compagnon qui, malgré son ascension sociale, n'oublia jamais qu'il était parti sur le tour avec quelques sous en poche et qui conserva jusqu'à sa mort la fraternité qu'il devait à ses Pays.

François Pinet, "Tourangeau La Rose d'Amour", bottier des élégantes (1817-1897), par Xavier Gilles.
Dépôt légal : mai 2011. Éditions Hugues de Chivré, "Le Gros Chêne", 37460 Chemillé-sur-Indrois. ISBN : 978-2-916043-42-5. 152 pages. 25 €.

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L'homme pense parce qu'il a une main. Anaxagore (500-428 av. J.-C.)


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