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Où il est question - beaucoup - de sucre, de mie de pain et autres gourmandises... (F. VARGAS)

Par Patriciabs

On parle beaucoup de nourriture dans le dernier Fred VARGAS :

littérature,gourmande,fred vargas,adamsberg

"Cette nuit-là, dit-elle lentement, Lina a vu passer l'Armée furieuse. Et Herbier y était. Et il criait. Et trois autres aussi.

- C'est une association ?

- L'Armée furieuse, répéta-t-elle tout bas. La Grande Chasse. Vous ne connaissez pas ?

- Non, dit Adamsberg en soutenant son regard stupéfait.

- Mais vous ne connaissez même pas son nom ? La Mesnie Hellequin ? chuchota-t-elle.

- Je suis désolé, dit Adamsberg. Veyrenc, l'Armée furieuse, vous connaissez cette bande ?

- Un air de surprise intense passa sur le visage du lieutenant Veyrenc.

- Votre fille l'a vraiment vue ? Avec le disparu ? Où cela ?

- Là où elle passe chez nous. Sur le chemin de Bonneval. Elle a toujours passé là.

Veyrenc retint discrètement le commissaire.

- Jean-Baptiste, vraiment, tu n'as jamais entendu parler de ça ?

Adamsberg secoua la tête.

- Eh bien, questionne Danglard, insista-t-il.

- Pourquoi ? Parce que, pour ce que j'en sais, c'est l'annonce d'une secousse. Peut-être d'une sacrée secousse.

Nul doute que la fratrie "maudite" du village normand rejoindra la galaxie des personnages mémorables de Fred Vargas. Quant à Momo-mèche-courte, il est le fil conducteur de la double enquête que mène ici le commissaire Adamsberg, confronté à l'immémorial Seigneur Hellequin, chef de L'Armée furieuse."

Du Fred VARGAS pur jus, voilà ce que nous réserve cette Armée furieuse. Le style s'épanouit de plus en plus largement, comme si l'auteur était définitivement rebelle à toute mise en boîte, à tout enfermement : l'histoire déroule son fil, tantôt languissant, tantôt plus tendu, et les personnages vivent leur vie, se permettant même de jouer avec le lecteur ("Et que voulez-vous que je fasse, commandant ? Que je m'installe des années sous un pommier en attendant Camille ? - Le pommier n'est pas obligatoire. - Que je ne remarque pas la fabuleuse poitrine de cette femme ? - C'est le mot, concéda Danglard.") qui s'étonnerait de ne pas retrouver ses personnages fétiches.

Les intrigues sont multiples, à la manière d'une bobine mal enroulée et, comme d'habitude, le tricot va se faire pendant que tout s'entrecroise. Mais surtout, surtout, ce nouveau volume regorge d'aphorismes et d'humour et l'on pourrait égrener les perles à la file ("On dit que les Normands n'aiment pas beaucoup parler, hasarda Adamsberg qui se mit à marcher dans le sillage de la femme; qui exhalait une légère odeur de bois. - Ce n'est pas qu'ils n'aiment pas parler, c'est qu'ils n'aiment pas répondre. Ce n'est pas la même chose. - Alors comment fait-on pour poser une question ? - On se débrouille."). Le personnage d'Adamsberg pellette les nuages à n'en plus finir et irradie dans tout le livre, jamais plus brumeux, jamais plus fluctuant, jamais plus séduisant.

Le passage que je vous propose suit de près celui qu'Aneth avait proposé : la fameuse description de la soeur de la fratrie "maudite", où l'un se croit d'argile, l'autre cuisine les insectes et le troisième parle en inversant les mots, et où Lina semble curieusement épargnée. ici, ils déjeunent pour la première fois ensemble, Adamsberg et elle :

Lina attendit qu'on eût apporté leurs plats avant de répondre. Elle avait faim de manière apparente, ou bien envie de manger, et posait sur la nourriture un regard très passionné. Cela sembla logique à Adamsberg qu'une femme aussi dévorable soit douée d'un appétit sincère. [...]

Adamsberg s'obligea à manger plus rapidement qu'à son habitude pour suivre le rythme de la jeune femme. Il ne souhaitait pas se retrouver face à elle avec son assiette à moitié pleine.

- Mais pour voir l'Armée furieuse, on dit qu'il faut être également détraqué. Ou mentir.

- Vous pouvez penser cela. Je la vois et je n'y peux rien. Je la vois sur le chemin, je suis sur ce chemin, alors que ma chambre est à trois kilomètres.

Lina roulait maintenant du bout de sa fourchette des morceaux de pommes de terre dans une sauce à la crème en y mettant une énergie et une tension surprenantes. Une avidité presque gênante.

[...] Lina interrompit sa phrase et termina hâtivement son assiette avec une grande avance sur Adamsberg. Puis elle s'adossa à sa chaise, rendue plus étincelante et détendue par cette réplétion.

Fred VARGAS, L'Armée furieuse, 2011.

On parle beaucoup de nourriture dans le dernier Fred VARGAS :

littérature,gourmande,fred vargas,adamsberg

"Cette nuit-là, dit-elle lentement, Lina a vu passer l'Armée furieuse. Et Herbier y était. Et il criait. Et trois autres aussi.

- C'est une association ?

- L'Armée furieuse, répéta-t-elle tout bas. La Grande Chasse. Vous ne connaissez pas ?

- Non, dit Adamsberg en soutenant son regard stupéfait.

- Mais vous ne connaissez même pas son nom ? La Mesnie Hellequin ? chuchota-t-elle.

- Je suis désolé, dit Adamsberg. Veyrenc, l'Armée furieuse, vous connaissez cette bande ?

- Un air de surprise intense passa sur le visage du lieutenant Veyrenc.

- Votre fille l'a vraiment vue ? Avec le disparu ? Où cela ?

- Là où elle passe chez nous. Sur le chemin de Bonneval. Elle a toujours passé là.

Veyrenc retint discrètement le commissaire.

- Jean-Baptiste, vraiment, tu n'as jamais entendu parler de ça ?

Adamsberg secoua la tête.

- Eh bien, questionne Danglard, insista-t-il.

- Pourquoi ? Parce que, pour ce que j'en sais, c'est l'annonce d'une secousse. Peut-être d'une sacrée secousse.

Nul doute que la fratrie "maudite" du village normand rejoindra la galaxie des personnages mémorables de Fred Vargas. Quant à Momo-mèche-courte, il est le fil conducteur de la double enquête que mène ici le commissaire Adamsberg, confronté à l'immémorial Seigneur Hellequin, chef de L'Armée furieuse."

Du Fred VARGAS pur jus, voilà ce que nous réserve cette Armée furieuse. Le style s'épanouit de plus en plus largement, comme si l'auteur était définitivement rebelle à toute mise en boîte, à tout enfermement : l'histoire déroule son fil, tantôt languissant, tantôt plus tendu, et les personnages vivent leur vie, se permettant même de jouer avec le lecteur ("Et que voulez-vous que je fasse, commandant ? Que je m'installe des années sous un pommier en attendant Camille ? - Le pommier n'est pas obligatoire. - Que je ne remarque pas la fabuleuse poitrine de cette femme ? - C'est le mot, concéda Danglard.") qui s'étonnerait de ne pas retrouver ses personnages fétiches.

Les intrigues sont multiples, à la manière d'une bobine mal enroulée et, comme d'habitude, le tricot va se faire pendant que tout s'entrecroise. Mais surtout, surtout, ce nouveau volume regorge d'aphorismes et d'humour et l'on pourrait égrener les perles à la file ("On dit que les Normands n'aiment pas beaucoup parler, hasarda Adamsberg qui se mit à marcher dans le sillage de la femme; qui exhalait une légère odeur de bois. - Ce n'est pas qu'ils n'aiment pas parler, c'est qu'ils n'aiment pas répondre. Ce n'est pas la même chose. - Alors comment fait-on pour poser une question ? - On se débrouille."). Le personnage d'Adamsberg pellette les nuages à n'en plus finir et irradie dans tout le livre, jamais plus brumeux, jamais plus fluctuant, jamais plus séduisant.

Le passage que je vous propose suit de près celui qu'Aneth avait proposé : la fameuse description de la soeur de la fratrie "maudite", où l'un se croit d'argile, l'autre cuisine les insectes et le troisième parle en inversant les mots, et où Lina semble curieusement épargnée. ici, ils déjeunent pour la première fois ensemble, Adamsberg et elle :

Lina attendit qu'on eût apporté leurs plats avant de répondre. Elle avait faim de manière apparente, ou bien envie de manger, et posait sur la nourriture un regard très passionné. Cela sembla logique à Adamsberg qu'une femme aussi dévorable soit douée d'un appétit sincère. [...]

Adamsberg s'obligea à manger plus rapidement qu'à son habitude pour suivre le rythme de la jeune femme. Il ne souhaitait pas se retrouver face à elle avec son assiette à moitié pleine.

- Mais pour voir l'Armée furieuse, on dit qu'il faut être également détraqué. Ou mentir.

- Vous pouvez penser cela. Je la vois et je n'y peux rien. Je la vois sur le chemin, je suis sur ce chemin, alors que ma chambre est à trois kilomètres.

Lina roulait maintenant du bout de sa fourchette des morceaux de pommes de terre dans une sauce à la crème en y mettant une énergie et une tension surprenantes. Une avidité presque gênante.

[...] Lina interrompit sa phrase et termina hâtivement son assiette avec une grande avance sur Adamsberg. Puis elle s'adossa à sa chaise, rendue plus étincelante et détendue par cette réplétion.

Fred VARGAS, L'Armée furieuse, 2011.


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