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Amy Winehouse, autopsie d'un mythe

Publié le 02 août 2011 par Bertrand Gillet

Amy Winehouse, autopsie d’un mytheLes drogues dures n’ont jamais aussi bien porté leur nom. Amy Winehouse vient d’en faire l’amère et définitive expérience. Exit, Amy Maison du Vin. Au-delà de l’émotion que suscite une telle nouvelle pour tous les rock critics, sans même parler des fans, il convient de prendre du recul. Ne pas traiter l’événement le jour même ou le lendemain mais au contraire se donner du temps ne peut que rendre service à l’analyse journalistique, quand bien même touche-t-elle le domaine du rock. Il y a dans le rock un rapport au tragique qui dépasse de loin sa dimension la plus théâtrale. Je veux parler de ces grandes messes que sont les concerts où les rock stars tentent de chorégraphier littéralement la musique qu’ils avaient imaginé en studio : des happenings live de Frank Zappa avec les Mothers aux spectacles tridimensionnels de Pink Floyd, comme à Pompéi, en passant par les reconstitutions comico-macabres d’Alice Cooper. Non, l’idée de tragédie s’exprime profondément dans le destin même des rockeurs, véritables véhicules humains de tous les vices connus. Until the end. A cet instant précis, je songeais à cette phrase sublime de Patrick Eudeline, journaliste pour Rock’n’folk, écrivain et rockeur lui-même. Dans une longue discussion avec plusieurs confrères à propos du cas « Johnny », il soulignait le caractère fondamentalement pathétique de la rock star : « Bien sûr qu’il est pathétique, Johnny. Tous les grands du rock le sont. La définition du rock, c’est précisément de passer du génial au pathétique ». Lester Bangs en personne avait déjà touché de près cette si funeste vérité en qualifiant Jim Morrison, le fameux roi lézard, de Dionysos boso, bien loin de l’image fascinante du poète californien. En dehors de l’œuvre musicale ou littéraire, la vie du rockeur a été un manifeste de l’Excès. Ses rapports conflictuels avec Pamela Courson, transposition américaine du Je t’aime moi non plus gainsbourgeois, son addiction à l’alcool sans parler de la consommation périodique de drogues diverses, tout plaide pour faire entrer Morrison au panthéon des clowns grotesques selon Bangs. Si Amy avait croisé la route de Lester, sans doute le plus gonzo des rock critics lui aurait fait part de sa vision, aussi cinglante que clairvoyante. Quelques décennies plus tard, c’est aux trublions du PAF installés dans la République fictive de Groland, petit bout de terre symbolique emplit de soulots et de vieux réacs, de prophétiser la mort prochaine de la Diva. Avec un sens aigu de la parodie, on y découvre son sosie officiel, Patrick Winehouse, vidant verre sur verre alors que la foule des admirateurs l’attend avec une impatience à peine feinte. Alors que la star titubante débarque sur scène, sortent de sa bouche, non pas les paroles tant espérées, mais des flots entiers de vomi. Image crue et géniale qui allait jusqu’à faire dire à un fan : « C’est dommage qu’elle ne soit pas morte mais bon… ». Détail plus inquiétant encore, le cas ne semble pas être isolé. Pete Doherty, figure déjà mythique du british rock, représente le pendant masculin des déviances qui ont poussé Amy Winehouse au bord de l’abîme. Là encore, le scoop people prime sur le contenu rock et le jeune homme d’enchaîner les beuveries au détriment des albums. Dommage. On voit comment tout cela finit. Don DeLillo à travers Great Jones Street, grand roman rock, avait percé à jour les mirages tubulaires et drogués de la célébrité : « La célébrité nécessite toute sorte d’excès. Je parle de la célébrité véritable, de la dévoration des néons, par du crépusculaire renom d’homme d’Etat sur le déclin ou de rois sans couronne. Je parle de longs voyages dans un espace gris. Je parle de danger, du bord qui cerne un néant après l’autre, de la situation où un seul homme confère aux rêves de la république une dimension de terreur érotique ». Voilà pourquoi le rock critic s’écarte volontiers du chemin des arts pour ne pas être emporté dans la chute du monde. Nous vivons en marge, proche d’un milieu qui nous fascine mais dont nous craignons de goûter les fruits délicieusement empoisonnés. Aurions-nous pu suivre Amy Winehouse dans ses intempérances ? Non. Comble du risible, si je puis dire, mais il semblerait que la jeune soulwriter préparait un troisième album. Amy Winehouse, autopsie d’un mytheOn repense avec une certaine émotion à Back to black qui, au-delà du revivalisme impeccable, possédait de réelles très bonnes chansons. Un vrai gâchis donc. Mais pourquoi se sacrifier alors de façon aussi jusqu’au-boutiste ? Ainsi, les rockeurs ne peuvent-ils échapper à leur Destin ? Faut-il établir des quottas de macchabés ? Le rock, pour être cool, doit-il se vivre dans la quête incessante des repoussoirs moraux que sont drogue et alcool ? Ian Hunter, leader de Mott The Hoople, que j’interviewais récemment, avouait n’avoir jamais été convaincu par les substances hallucinogènes et les bacchanales déjantées. Rockeur et père de famille… Et pourquoi pas ? Pour en revenir au parcours brisé d’Amy Winehouse, la conjonction de nombreux événements, une carrière débutée très jeune, la célébrité, ses tentations serviles, sa pression galopante et son argent roi, explique certainement cette fin pitoyable. Dernier exemple de pathétique que nous ait livré l’actualité : il y a quelques jours de cela, un sosie de Gainsbourg a poignardé un sosie de Johnny. Décidément, le monde (du rock) est fou.


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