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Voix seule, d'Alain Veinstein (par Antoine Emaz)

Par Florence Trocmé

Veinstein Un livre : une seule expérience et une seule forme. Le poème ne dépasse pas la page, même s’il peut être constitué d’une suite de séquences ; il est écrit en vers libres courts et ponctués, avec une rythmique simple, efficace, syntaxique. La solidité du bâti d’écriture est sans doute à la mesure de la difficulté à saisir ce qu’il veut piéger : la vie en l’absence. C’est une pièce de théâtre étrange ; d’où le rideau rouge, presque toujours présent, mais ouvert ou fermé sur rien. On songe au Rêve d’un curieux de Baudelaire, longuement médité par du Bouchet. La page dix de Voix seule est presque programmatique : « Pas de début et la fin / renvoyée à la fin des temps. // Repartir de là, / revenir à l’enfance. // Je danse sur le devant d’une scène / où les mots et la peur qui me talonne / ne circulent pas. // C’est rien / et ce n’est pas rien. // Ce sont à peine quelques pas / autour desquels tourne ma vie. » 
Tout le livre est d’un seul mouvement : perte du père, désorientation, reconquête de soi sans illusion.  L’absence du père est centrale, motrice : « Si c’est la nuit, / je l’entends. // Il vient me parler / la nuit, / mais je ne le vois pas. / Il fait trop noir / et je lui ressemble trop / pour le distinguer : je suis vieux et noir. // Père, père, père… //Père… // Père…// Oh ! – mon père… //Oh ! – oh ! – oh ! –/ mon père… » Cette simplicité touche ; elle sonne sincère, un peu comme si l’enfant reprenait la parole. Cela donne un vrai pathétique, sans grandiloquence ; le personnage Veinstein se défait, ou plutôt se dédouble entre l’être vrai et le rôle social : « Ma vie, de toute façon, n’a rien à voir / avec ce que je profère pour sauver ma peau. / Elle est hors de portée de l’immense pelle / qui ensevelit jour après jour / ce cadavre dans lequel je ne me reconnais pas. » Ce que la poésie donne à lire, c’est la fêlure, la fragilité de quelqu’un qui porte ses peurs anciennes, ses morts qui encombrent autant qu’ils enracinent. 
D’où un livre qui n’affirme rien mais dit juste la désorientation de vivre encore : « Il faut croire que beaucoup de temps a passé, / je ne reconnais plus rien, / je ne sais plus où je suis…/ Depuis que la terre m’arrive à la poitrine, / cesse de me porter, / j’ai perdu le fil, / j’ignore même quelle histoire je vis. » On l’aura compris, ce livre n’est pas plus d’espoir, de louange, de plénitude, que de mollesse mélancolique. C’est plutôt un travail sur les peurs, le manque, et une poésie très lucide : d’un rideau rouge ouvert à un rideau rouge fermé, ou bien cette pelle et cette terre remuée par le père, sans fin. 
Cependant, la dernière partie du livre figure une sorte de remontée : une « voix seule », effectivement, s’assume dans son solo su provisoire, à la fois final et fragile. «  Je chante pour respirer / sans trop emplir mes poumons / pour que la voix puisse s’élever, / s’élancer dans l’air, / avant que je quitte la scène du monde. » Et un peu plus loin : « Je chante pour respirer, / délier les nœuds de la peur, / trouver / un semblant d’équilibre / et ne pas m’effondrer. » 
Voilà bien ce qui retient dans ce livre : un « équilibre » juste, trouvé entre la sincérité de l’intime et la technicité froide de l’écriture. Nous sommes bien en poésie, c’est-à-dire au cœur d’une personne, mais pas dans le moi-je-moi à n’en plus finir d’en finir avec son misérable petit tas de secrets. 
 
[Antoine Emaz] 
 
Alain Veinstein  - Voix seule 
Editions du Seuil – 190 pages – 18 € 


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