Portrait de Napoléon Gaillard sous la Commune de 1871. Collection Patrick Fonteneau.
Nous avons découvert il y a quelque temps la personnalité et la carrière de François PINET, "Tourangeau la Rose d'Amour" (1817-1897) à travers la biographie que lui a consacré Xavier GILLE (voir l'article). F. Pinet fut un compagnon aux opinions politiques modérées, un socialiste à la mode de 1848, aux préoccupations humanitaires et sociales, mais dans le cadre des institutions politiques de son temps. Devenu l'un des grands fabricants de chaussures parisiens sous le second Empire, il fut représentatif de l'ascension sociale de certains compagnons ingénieux et volontaires.
Parallèlement à François Pinet, membre de la bourgeoisie industrielle de la seconde moitié du XIXe siècle, s'oppose en bien des points la personnalité d'un autre compagnon cordonnier-bottier du Devoir. Il s'agit de Napoléon Louis GAILLARD.
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Ils sont contemporains puisque N. Gaillard est né le 7 juin 1815 et mort le 16 octobre 1900. Mais dès 1848, tout les oppose...
Napoléon Gaillard est né à Nîmes (Gard), d'un père cordonnier. Il fut prénommé Napoléon, en hommage au continuateur de la Révolution française et à l'ennemi des Bourbons, ce qui affirme les convictions du père dans une cité plutôt royaliste. Plus tard, sous le règne de "Napoléon le Petit", il ne mettra plus en avant ce prénom et signera simplement "Gaillard père".
Il reçoit une instruction correcte, sachant lire et écrire et affirmant un intérêt pour la culture et les arts.
Il est reçu compagnon cordonnier-bottier du Devoir sous le nom de "Nîmois le Loyal", à une date et en une ville qui restent à découvrir, mais vraisemblablement autour de 1835.
Gaillard était à Nîmes en 1847 et vivait en union libre avec une demoiselle Marie Cortès. C'est cette année-là que naquit leur fils Gustave, Napoléon.
L'inventeur de la chaussure en gutta-percha
Sur le plan professionnel, c'est dès le 3 novembre 1851 qu' il dépose un brevet d'invention "pour la chaussure française en gutta-percha". Le brevet est déposé en commun avec deux associés. (Notons l'intérêt pour cette matière nouvelle et remarquons que François Pinet déposa aussi un brevet portant sur l'emploi de la gutta-percha). Gaillard est établi cordonnier à Lyon au 58, rue Grande-Moricière. En juin 1852, il cède une partie de ses droits d'exploitation à un marchand de chaussures et à un représentant de commerce lyonnais, chacun des trois exploitant le brevet dans des départements distincts. Le procédé a dû être perfectionné par lui entre 1851 et 1853, car il n'est plus, dès lors, présenté que comme l'invention du seul Napoléon Gaillard. Il le publie à Nîmes, en 1853, sous le titre : Mémoire descriptif du mode de fabrication de la chaussure française en gutta-percha, qui est réédité à Paris en 1856, puis en 1857 et en 1858. C'est sans doute vers 1855 qu'il "monte" à Paris. En 1868, il demeurait à Belleville, 74, rue Julien-Lacroix.
Portrait de "Napoléon Gaillard dit Nîmois le Loyal, C.°. D.°.D.°. né à Nîmes (Gard) en1815. Inventeur de la Chaussure Française en Gutta-Percha". Musée du Compagnonnage, Tours.
Cette invention lui conféra de la notoriété. On lit dans le Dictionnaire universel théorique et pratique du commerce et de la navigation (Guillaumin, 1859) que : « Notre travail serait incomplet si nous ne mentionnions pas ici la chaussure soudée, à l'aide de la gutta-percha. La chaussure en gutta-percha, de M. Napoléon Gaillard, a fait un grand bruit, depuis quelques années, dans la cordonnerie ; et près de 2000 cordonniers sont cessionnaires de son brevet. Les amateurs de l'imperméabilité ne peuvent trouver rien de plus satisfaisant : grâce à la semelle en gutta-percha et à une couche de gutta, dont on a soin d'enduire intérieurement l'empeigne, l'eau ne peut jamais atteindre le pied. Aussi croyons-nous que, pour les ports de mer spécialement, cette chaussure est très-bonne ; quand à l'usage journalier, les uns disent s'en trouver bien, les autres, au contraire, déclarent ce système mauvais. Le temps et l'usage nous apprendront lesquels sont dans le vrai. »
Raymond HUARD, l'un de ses biographes, auquel nous empruntons beaucoup d'éléments de cet article, écrit que Gaillard se qualifiait d'« artiste chaussurier ». « Son procédé visait à alléger la tâche de l'ouvrier cordonnier. "Le public, écrit Gaillard, ignore toutes les fatigues de corps et d'esprit de l'ouvrier cordonnier qui fabrique par des procédés ordinaires. Par mon système, il travaille sans fatigue aucune, développe son intelligence, obtient un beau travail et peut être classé au rang des modeleurs et des sculpteurs." » En 1876, alors qu'il est en exil à Genève, Gaillard père publie L'Art de la chaussure, son testament de cordonnier, où il développe sa conception d'une chaussure naturelle, adaptée au pied de chaque individu, modèle suggéré par l'observation des pieds des statues antiques dans les musées. Cette conception moderne reste cependant artisanale. Gaillard est totalement étranger à l'industrialisation de la fabrication de la chaussure, caractéristique du Second Empire. On mesure ce qui le distingue aussi sur ce point de son Pays François Pinet. (voir R. HUARD : « Napoléon Gaillard, chef barricadier de la Commune, 1815-1900 », dans les Actes du colloque La barricade organisé en 1995 par le Centre de recherches sur l'histoire du XIXe siècle).
Selon Michel JUIGNET, qui consacre une notice à Gaillard dans La Chaussure (1977), « il voulait une chaussure faite pour le pied, contrairement à la mode barbare qui ajuste le pied à la chaussure. Dois-je rappeler que cent années après, nous, membres de la Chaussure, nous tenons le même langage à ce sujet... »
Caricature de Napoléon Gaillard où on lit : "Gaillard père et fils raccommodant les souliers et dépavant les rues. Fabrique de barricades". Collection Patrick Fonteneau.
Mais Gaillard n'était pas destiné à vivre bourgeoisement du produit de son brevet. C'était aussi un militant révolutionnaire. Le « Maitron » (Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français), nous apprend qu'il "avait encouru, avant la Commune, de nombreuses condamnations, toutes politiques, vraisemblablement. Le 31 mai 1849, à Nîmes, huit jours de prison pour outrages ; le 14 novembre 1868, à Paris, 500 f d'amende pour bruit, tapage ; le 22 janvier 1869, à Paris, un mois de prison pour excitation à la guerre civile ; le 11 juin 1869, à Paris, deux mois de prison et 16 f d'amende pour cris séditieux ; le 30 octobre 1869, à Paris, quatre mois de prison pour outrages ; le 26 novembre 1869, à Paris, 500 f d'amende pour contravention relative à des réunions publiques." Voilà qui traduit une opiniâtreté dans l'engagement politique !
Nous découvrirons cet aspect de sa personnalité dans la suite de cet article...
L'homme pense parce qu'il a une main. Anaxagore (500-428 av. J.-C.)