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Lola de Truman Capote, en Sicile

Par Mango
Lola de Truman Capote, en SicileLe texte intitulé Lola se trouve dans le livre de souvenirs de  Truman Capote: «Les chiens aboient».
Ce recueil qu’on ne trouve plus désormais que dans les bibliothèques rassemble vingt-trois textes brefs que l’auteur, dans sa Préface, considère «comme une sorte d’atlas personnel, de géographie de (sa) vie d’écrivain tout au long de trois décennies : en gros, de 1945 à ces dernières années.»  (Écrit en 1973)
Lola est une vilaine corneille hargneuse aux ailes rognées  dont l’auteur pleure la disparition. Il l’a reçue comme cadeau de Noël 1952 de la part de sa jeune servante Graziella alors qu’il se trouvait sur les pentes de l’Etna, en Sicile près de Taormina.
Lola de Truman Capote, en Sicile
«J’habitais alors, une maison rose pâle, toute en pierre au milieu d’une oliveraie. Il y avait beaucoup de chambres, et aussi une terrasse d’où on apercevait l’Etna avec son chapeau de neige.»
Il fallut attendre six mois avant que les ailes du corbeau femelle ne repoussent. Pendant ce temps, elle devint l’amie des deux chiens de la maison dont elle apprit à se faire respecter et elle avait sa cachette secrète où cacher ses larcins, dans la bibliothèque juste derrière les «Œuvres complètes» de Jane Austen. Tout ce qui brillait l’attirait et cela allait du dentier d’une Lady amie de l’auteur jusqu’à ses clés de voiture, ses  boutons de manchette préférés et un bouchon de cristal. Elle semblait très heureuse de cette vie mais ne volait toujours pas: elle se prenait pour un chien et se comportait comme tel.
Lola de Truman Capote, en SicileBientôt, cependant, la jeune Graziella, perdit coup sur coup  accidentellement, son père ainsi que tout espoir de mariage. Dès lors tout le pays accusa Lola et son maître de porter le malocchio, le mauvais œil. La maison devint maudite et Truman Capote dut se décider à prendre la fuite  avec ses chiens et sa corneille.
Lola de Truman Capote, en Sicile
Ils se retrouvèrent à Rome, au sixième étage d’un immeuble donnant sur une rue très animée. Lola s’installa sur le rebord de pierre du grand balcon qui longeait la façade.
C’est là qu’un chat roux venu du toit sauta sur elle qui avait retrouvé ses ailes  mais qui continuait à se prendre pour un chien si bien que lorsqu’elle tomba du balcon, ses ailes, bien qu’éployées, restèrent immobiles. «Lentement, solennellement, elle poursuivait sa route, comme retenue par un parachute, plus bas, plus bas encore. Ce fut effrayant, terrible…
Issue fatale qui nous attend aussi, nous tous qui rejetons notre vraie nature et nous acharnons à être autre chose que nous-mêmes.»
Lola de Truman Capote, en Sicile
Voici ce qui est écrit dans la préface à propose de ce texte:
«Un des textes de ce livre, Lola, a toute une histoire, très curieuse: écrit en vue d’exorciser le fantôme d’un ami perdu et acheté par une revue américaine, il resta pendant des années dans un tiroir, parce que le rédacteur en chef avait décidé qu’il «n’aimait pas ça»: il affirmait ne pas savoir «de quoi il était question» dans un tel récit, qui lui semblait d’ailleurs «inquiétant», «noir». Noir? Je  ne  trouve pas. Mais je comprends très bien ce qui s’est passé dans l’esprit de cet homme: d’instinct, il avait pénétré au-delà des déguisements sentimentaux de cette «histoire vraie», et ressenti confusément – mais sans le reconnaître le moins du monde – ce qui en constituait le sujet véritable: les périls (éventuellement mortels) qui menacent tout être vivant quand il ne sait pas, ou n’accepte pas, les limites de cette «identité» et de cette «classification» qui lui sont imposées par les autres. Ici, il s’agit d’un oiseau qui croyait être un chien! Ainsi, naguère Van Gogh affirmait qu’il était un artiste; Emily Dickinson croyait qu’elle était un poète. Et pourtant, sans de telles erreurs, sans de telles croyances, les mers n’auraient jamais été dérangées de leur sommeil et les neiges éternelles seraient restées inviolées. »  Lola de Truman Capote, en Sicile
Lola de Truman Capote, Les chiens aboient, souvenirs, sites, silhouettes,  (Gallimard, Du Monde Entier, 1977, 222 p) Traduit de l’anglais par Jean Malignon.Photos de Taormina et de l'hôtel San Domenico, très fréquenté par Truman Capote pendant son séjour de deux ans en Sicile. 

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