De Stig Dagerman.
Des familles vivent dans les caves d’immeubles éventrés, les chevilles plongées dans une eau stagnante. Les enfants sont malades, les vieillards agonisent, on suit avec effroi la lute résignée d’une population en quête de survie. La vie ne tient plus qu’à un fil pour de nombreuses personnes, entre marché noir, vol et rapine (pour les plus forts d’entre eux), les tribunaux de dénazification ne font qu’exacerber une sorte de désillusion qui s’insinue dans l’esprit des gens. Beaucoup de dignitaires de l’ancien régime sont passés entre les mailles du filet, alors qu’on cherche avec acharnement à prouver un passé nazi au citoyen lambda.
Il y a aussi ce fossé qui se creuse entre les populations urbaines et rurales, les uns considèrent que les autres les ruinent en vendant à prix d’or le produit de leurs récoltes, tandis qu’à l’inverse, les ruraux accusent les citadins de tout prendre sans rien produire. C’est un monde de chaos dans lequel l’Allemagne s’est enfoncé en l’espace d’un an. Ou comment passer du statut de Grand Reich à celui de « sous-nation » divisée et occupée.
C’est un témoignage bouleversant que nous propose Stig Dagerman, sans prendre parti, il présente une société ravagée physiquement et moralement, une société gangrénée par la suspicion et la haine, dans laquelle règne la loi du plus fort… Mais plus encore qu’un « simple » état des lieux dans les ruines d’un passé fasciste, l’auteur invite le lecteur à se plonger dans une réflexion autour de la notion de « punition » de tout un peuple, ou comment ressentir une sorte d’indulgence à l’égard de personnes qui ont commis avec méthode des actes plus qu’odieux.
Une lecture dérangeante et difficile, mais qui a selon moi la vertu de proposer au lecteur un éclairage différent sur une des pire période de l’histoire de l’humanité.