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La grande maison

Par Fibula
La grande maison, Nicole Krauss, Éditions du Boréal, 2011
La grande maisonLe dernier roman de la brillante auteure Nicole Krauss donne le vertige, par son ambition, sa complexité narrative, la lecture attentive qu'il nous impose. Roman exigeant, à l'histoire qui se déploie dans plusieurs directions, à différentes époques, dans différents pays, cette œuvre de la New-Yorkaise est éblouissante à plusieurs égards.
L'histoire nous transporte de New York à Londres en passant par Jérusalem. Un énorme bureau d'acajou, aux multiples tiroirs, dont un seul ferme à clé, sert d'écritoire à une auteure américaine, Nadia. Une jeune femme, Leah, contactera la femme pour récupérer le bureau de son père, Daniel Varsky, un poète chilien assassiné, qui avait légué ce bureau à Nadia. Mais devant le trouble que l'absence de ce bureau provoque chez elle, Nadia décide de partir à Jérusalem, afin de retrouver la jeune Leah.Nous rencontrons également Yoav, le frère de Leah, jeune homme mystérieusement traumatisé par son père, le collectionneur d'art Weisz, qui recherche des objets que les gens ont dû abandonner à cause de la guerre. Le fameux bureau est peut-être l'un de ces objets.Nous lisons aussi la confession d'un père à son fils, parti étudier et vivre à Londres et qui exercera comme brillant avocat puis juge, tout en voulant devenir écrivain. Un père plein de regrets et qui souhaite se rapprocher de son enfant.Et nous verrons aussi comment un homme se rendra compte que sa femme lui a caché tout un pan important de sa vie et quel traumatisme révèlera cette découverte.
Tous ces destins se recoupent, d'une façon ou d'une autre, et les ficelles se démêlent à la fin du récit. Ces destins brisés, abimés par la guerre, par la solitude, par le deuil, déroulent le fil de leurs vies riches, qui trouvent toutes leurs points d'ancrage dans la transmission, l'héritage. Ils sont tous en réaction face à leurs traumatismes propres.
L'auteure explique en effet :
« Mes livres abordent tous la façon dont chacun réagit à une catastrophe, qu'il s'agisse comme dans La Grande Maison de la Shoah, de la dictature chilienne ou de la guerre de Yom Kippour. Et ce qui m'intéresse en effet dans cette réaction au pire, c'est la façon, chez ceux qui y ont survécu, dont ils ont dû se réinventer eux-mêmes, souvent à travers des réinterprétations radicales du passé, une réécriture de leurs souvenirs. »
On a reproché à Nicole Krauss « d'égarer ses lecteurs », à son roman d'être un « indigeste fourre-tout » (même article), mais on a aussi dit qu'il s'agit  « d'une expérience de lecture exigeante, certes, peut-être même éprouvante, mais la richesse, la beauté et la justesse de ce que dit [le roman] de l’expérience humaine vaut incontestablement le détour». Les lecteurs qui s'accrocheront pour suivre le fil conducteur de cette histoire, qui exige que l'on se laisse emporter dans cette œuvre monumentale, que l'on fasse entièrement confiance à son architecte, qui, par son écriture si fine, si précise, évocatrice comme rarement, nous permet de toucher à l'essence même de l'humain, ceux-là s'orienteront vers ce dernier commentaire, et partageront une expérience de lecture totale.Nicole Krauss nous pousse dans nos retranchements, dans nos fragilités, et ses personnages nous habitent longtemps après la lecture de son roman. Elle nous pousse aussi à nous abandonner dans les bras de Dame Littérature, et nous transmet son amour des livres et des mots.À la fois suspense inquiétant autour d'un bureau, qui nous apparaît quasiment magique (il est source de l'inspiration de l'auteure du premier chapitre, son absence entraînant la panne sèche et le syndrome de la page blanche), et que l'on recherche dans tout le roman, et drame psychologique qui nous entraîne sur les rives de la Shoah, avec toutes les questions sur l'identité et la mémoire que cela implique, La grande maison (Great House), complexe et riche, ne peut laisser personne indifférent.Après L'histoire de l'amour, dont j'ai parlé ici, Nicole Krauss nous offre un roman plus complexe, moins drôle, mais les thématiques qui traversent les deux livres se rejoignent, et on y trouve le même amour que l'auteure a pour la vie et la littérature.
Devant ce colossal travail et cette brillante et approfondie réflexion, je m'incline.
« Le seul lieu auquel j'appartiens, c'est l'espace du livre que j'écris. Un lieu fictif que je reconstruis. »
Nicole Krauss

Une critique à laquelle je m'identifie pleinementUne rencontre avec Nicole Krauss, à écouter absolument. Elle nous parle du processus d'écriture, entre autresVous pouvez aussi lire cette entrevue dans les Inrockuptibles
[Lætitia Le Clech]
Humeur musicale : Tinariwen, Tassili (V2, 2011). Tinariwen sera en tournée nord-américaine en novembre, et ce sera Sophie Hunger qui fera ses premières parties ! Surveillez les dates ici

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