Ainsi, Nathan n'avait toujours pas reposé Joachim par terre. Il continuait de le tenir serré contre son coeur et rien ne pourrait jamais le lui faire lâcher. Dans cette maison que Nathan avait fait construire avec son goût de la démesure, tout était prévu pour que quiconque puisse trouver sa place, toute la place dont il avait besoin. Mais, bien entendu, les deux frères n'avaient jamais eu l'idée de se séparer. Ce n'était même pas pour ne pas peiner l'autre, c'était bien le plaisir égoïste de chacun. Ils étaient heureux ensemble et, si on leur avait dit que ce bonheur n'était pas normal, ils ne l'auraient pas cru.
Il y a quelques temps, j'avais découvert Françoise Bourdin avec son dernier roman, Le Testament d'Ariane, que j'avais beaucoup apprécié, et pour me faire patienter jusqu'à la sortie de la suite, Elodie des éditions Belfond m'a fait la surprise de m'envoyer ce roman, qui date de 1997 et vient d'être réédité. Juste avant mon départ pour les vacances, il a naturellement trouvé sa place dans ma valise.
Dans une auberge perdue dans les montagnes du Jura, tout le monde se rassemble pour écouter l'histoire, celle que va raconter Sixte, un vieillard dont le passé semble lourd à porter. Cette histoire, c'est celle de Nathan Desroches, Nathan qui a élevé ses frères Justin, "l'idiot", et Joachim, après l'incendie qui a coûté la mort à leurs parents. Il ignore et terrorise le premier, qu'il tient pour responsable du drame mais dont il s'occupe par devoir, et tisse avec le second une relation fusionnelle et exclusive, qui ne tolère la présence d'aucun tiers et surtout pas d'une femme. Même l'épouse de Nathan, Suzanne, la fille de Sixte, ne tient pas la première place dans sa vie. Jusqu'au jour où Marie vient se mettre entre les deux frères et nouer les fils de la tragédie.
J'ai lu ce roman d'une traite, et il m'a passablement bouleversée : la lecture m'a passablement mise mal à l'aise, de par la peinture qui est faite dans ce roman d'un monde à part, où les femmes n'ont pas réellement leur place. L'atmosphère est pesante, lourde, étouffante dans ce huis-clos construit sur une passion dévorante, mais pour une fois, pas celle de la passion amoureuse : ce qui est en jeu ici, c'est une relation fusionnelle, à la fois touchante et inquiétante, entre deux frères qui finalement ne font qu'un. Etant fille unique, ne connaissant rien au monde rural, j'avoue avoir été vraiment "dépaysée" émotionnellement par ce texte, qui joue sur la corde de sentiments et de contextes qui me sont étrangers. Et ça ne m'a pas déplu du tout, au contraire, je me suis totalement laissée transporter par cette histoire dont on sait dès le départ qu'elle se finit très mal. Une très jolie découverte donc, que je vous conseille viment et dont je remercie Elodie et les éditions Belfond !
Comme un frère
Françoise BOURDIN
Belfond, 1997, rééd. 2011