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Anthologie permanente : Edoardo Sanguineti

Par Florence Trocmé

La revue Inuits dans la jungle a récemment publié, avec une introduction et dans une traduction de Jean Portante, le " Novissimum Testamentum " d'Edoardo Sanguineti.
" "Novissimum testamentum" qui date de 1982, fait figure à la fois d'enterrement intime et de funérailles de l'illusion avant-gardiste prise dans le reflux de sa radicalité censée bouleverser le monde qui, dès la fin des années 1970, avait tendance à devenir tradition révolutionnaire ou, comme le disait Sanguineti, l'avant-garde faite art de musée " (Jean Portante)
[...]
je laisse, à qui reste, des aurores boréales,
et rois des souris, et femmelette barbues ;
je laisse les chevaux de Phrysie et de Troie,
la Juve, les virus, l'Otan, les virgules :
et je laisse aussi loteries et auberges,
rébus, rosaires, ouvre-boîtes et boîtes,
disques d'Ellington, films avec la Vlady,
diminutifs, tanches, vendredis :
après moi, viendront les nouveaux Adams,
avec des ichtyosaures, et minotaures, et laures,
et avec des minoëns, des martiens, et jésuites :
et de nouvelles expositions universelles,
joutes mondiales, guerres nucléaires,
et empire d'Occident, et mahométans :
après moi, le déluge, et les balles,
et les familles, les chaussures, les toupies :
notre monde est un grand magasin,
et pour en faire ici le catalogue complet,
et raisonné, et illustré, et mis à jour,
avec tous les prix, en gros ou au détail,
une heure est courte, et une vie très courte :
et maintenant que je donne un coup de pied à tout,
même les dromadaires je ne veux les sponsoriser,
ni les bois tendres, les roues, les rotules :
moi, jour après jour, pendant un demi-siècle,
errant, à pas tardifs, dans tous les sens,
j'ai fait le tour de tous les rayons :
pendant les années fastes j'ai vécu de soldes :
ce que j'ai eu, j'y ai eu droit au rabais,
une autre remise on ne me l'a pas admise :
ici, si se flaire à peine une juste affaire,
de toutes parts : on ferme, c'est un calvaire :
et vous, si vous y regardez, vous y voyez :
celle qui pousse vers l'issue, c'est la vie :
rigide beaucoup est l'horaire de fermeture,
et mon temps, pour moi, ce temps est périmé :
qui a donné a donné, mais qui a reçu a reçu
et mon temps, pour moi, ce temps est perdu :
et seul, et les mains vides, et lentement
je m'en vais, désormais, puisque m'attend mon néant :
[...]
Edoardo Sanguineti, " Novissimum Testamentum ", traduit de l'italien par Jean Portante, in revue Inuits dans la jungle, n° 3, 2011, pp. 45 et 46.
Edoardo Sanguineti (1930-2010) dans Poezibao :
bio-bibliographie, extrait 1, sa mort
Revue Inuits dans la jungle : comité de rédaction, Jacques Darrasj Jean Portante et Jean-Yes Reuzeau. Rédaction : Le Castor Astral, 52 rue des Grilles, 93500 Pantin. Parution annuelle, abonnement à trois numéros, 30 €.
" Inuits dans la jungle procède de la rencontre des revues In'hui (fondée et dirigée par Jacques Darras) et Jungle (fondée et dirigée par Jean-Yves Reuzeau), qui se sont associées par l'intermédiaire du poète luxembourgeois Jean Portante afin de prolonger et amplifier leur aventure. Inuits dans la jungle, attentive, comme l'indique son titre, à la confusion climatique et géographique qui se profile à l'horizon de l'humanité, se propose de publier des poètes sensibles à l'évolution du monde aussi bien qu'au renouvellement des formes. Inuits dans la jungle s'ouvrira prioritairement aux poésies européennes contemporaines, sans distinction de genre ni d'écoles, et se propose en ce sens de tenir ses lecteurs " à la page " sur les poésies
" hors la page ", c'est-à-dire les poésies dites sonores ou de performance, qui trouveront ici un accueil régulier. Annuelle, la revue s'est adjoint une équipe de lecteurs-collaborateurs qui rendront compte des parutions les plus significatives. "


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