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Idées communes et différences

Par Eguillot

"Les grands esprits se rencontrent", dit-on. On pourrait aussi estimer que le déterminisme de certaines situations et l'intérêt commun de certains acteurs d'une même corporation peut les conduire à réagir et évoluer de manière similaire. 

Ainsi, la plupart des auteurs de Science-Fiction, Fantasy et Fantastique ont-ils sans doute eu connaissance de l'annonce de l'auteur français Ayerdhal aux Imaginales 2011. Si vous ne l'avez déjà fait, je vous invite à visionner la vidéo de 25 minutes ci-dessous. Ayerdhal nous y parle de la création d'un groupement d'auteurs aux intérêts communs, sous la forme d'une SARL, visant à vendre des ebooks en donnant 50% du produit de leurs ventes par le biais de cette société aux auteurs. Il s'agirait apparemment exclusivement d'auteurs de Science-Fiction sélectionnés par Ayerdhal, Jean-Claude Dunyach et leur équipe, le but étant d'assurer aux lecteurs un label de qualité. Ayerdhal précise que les ebooks seront vendus sans DRM, et qu'Amazon, en ce sens, pose problème, puisque le géant américain vend avec verrou numérique (DRM).

Plus récemment, l'auteur américain de thrillers Joe Konrath, dans un dialogue avec Blake Crouch sur son blog, nous dévoile son projet d'une sorte de "cloud computing" de sites d'auteurs, c'est à dire de ventes d'ebooks via la mise en réseau des différentes boutiques d'auteurs. Une sorte de partage de ressources. Dans le dialogue, Konrath évoque une centaine d'auteurs, mais ce n'est peut-être qu'à titre d'exemple. Ces auteurs seraient choisis soigneusement. Je cite : "de bons auteurs avec un lectorat décent qui écrivent dans des genres similaires". Que signifie "lectorat décent" ("decent followings") pour Konrath ? J'ai déjà vu sur l'un de ses billets précédents qu'à partir du moment où un auteur vendait à 5000 exemplaires, il le considérait comme ayant fait ses preuves. Les oeuvres de chacun des auteurs du "cloud" apparaîtraient sur les sites des uns et des autres. Les auteurs "accueillis" percevraient 70% des droits des ventes provenant des sites d'accueil.

Konrath va jusqu'à évoquer la création par ce groupement d'auteurs de leur propre lecteur d'ebooks. On sent donc une réelle volonté de s'affranchir quelque peu de l'emprise du groupe Amazon et de son Kindle.

En compagnie d'autres auteurs issus d'un forum de discussion, Babel la Ghilde des Mondes, j'avais dès 2008 mis en oeuvre le site Babelpocket. Vous pouvez en consulter la charte ici. Le concept était assez similaire : créer un modèle de site d'entraide entre auteurs sous forme de "webrairie" (librairie en ligne) vendant des ebooks sans DRM, se focalisant sur trois genres distincts au maximum (distincts, mais rapprochés, puisque pour Babelpocket, il s'agissait de Science-Fiction, Fantasy et Fantastique). Le but était de créer un réseau de webrairies interconnectées ramenant les lecteurs via les moteurs de recherche vers les ebooks des auteurs. Lesdits auteurs étaient responsables de la qualité de leurs ebooks, sur la forme et sur le fond. En d'autres termes, on pouvait parler de copinage, puisque les auteurs présents sur Babelpocket étaient peu ou prou ceux et celles présents sur le forum Babel, et volontaires pour participer à l'opération, vers janvier 2008.

Depuis cette date, la situation a évolué. La situation générale, bien sûr, et ma situation en tant qu'auteur amateur s'efforçant d'évoluer vers le semi-professionalisme. L'idée de la création de Babelpocket était basée sur les "bons sentiments" : en créant un site d'entraide, j'espérais que d'autres se bâtiraient sur le même modèle, faisant naître une émulation et permettant aux auteurs d'accroître leur visibilité. Nous voulions, en quelque sorte, nous entre-aider "entre potes".

Je m'étais bercé d'illusions, il faut bien le reconnaître. Cela ne marche pas comme ça - les résultats financiers de Babelpocket, proche de zéro, le prouvent amplement. L'idée d'Ayerdhal, l'idée de Konrath de sélectionner des auteurs, de bons auteurs et (au moins dans le cas de Konrath), des auteurs qui vendent, me semble beaucoup plus réaliste. Est-ce que ça veut dire qu'il n'y aura pas de copinage dans les deux cas ? Il est évident qu'il y en aura. Néanmoins, le critère de ventes est suffisamment objectif pour permettre une efficacité du concept.

Il faut savoir que Konrath pratique d'ores et déjà une forme de cloud computing : il lui arrive de mettre des extraits d'ebooks d'autres auteurs à la fin de ses livres numériques, et ces auteurs lui assurent une réciproque. C'est un moyen de "se partager les lecteurs" entre auteurs.

Parlons maintenant des droits. Quand j'ai vu 50% pour Ayerdhal, cela m'a semblé peu. Aux Etats-Unis, Amazon donne déjà 70% aux auteurs. En France, j'ai calculé qu'en net, mes revenus d'ebooks vendus chez Apple reviennent à 62 ou 63% du prix total des ebooks. Alors évidemment, Ayerdhal promet un bon marketing, une aide sur la création d'ebooks et une meilleure visibilité. Et on peut supposer qu'il ne demandera pas l'exclusivité. Mais avec 50%, il y aura toujours un doute, une suspicion sur la manière dont est utilisé l'argent généré par les auteurs.

Le concept de Konrath est différent : chaque auteur perçoit les revenus de ses propres ebooks et ceux des autres vendus sur son site, puis redistribue. Encore faut-il faire confiance à chaque auteur pour la redistribution des 70%. C'est là un écueil non négligeable.

Le meilleur système ? Ce serait peut-être, finalement, d'agir de la même manière qu'avec les boutons d'achat Babelpocket, c'est à dire faire en sorte que chaque achat alimente directement, dans son intégralité moins les frais Paypal, les comptes des auteurs. Avec Babelpocket, nous passions par un site externe assurant l'envoi des fichiers numériques, un site appelé Payloadz, qui prend sa propre marge si les chiffres de vente dépassent les 60 euros par mois. Babelpocket n'était donc une idée rentable qu'à la condition de ne pas trop vendre, puisqu'il ne faut pas oublier la marge prise sur chaque vente par Paypal (0,25 euros plus 3% du prix de l'ebook)... Autant dire qu'il faut trouver une solution alternative.

Personnellement, je prônerais comme Konrath une forme de "cloud computing" des boutiques d'auteurs. Ces derniers devraient être soigneusement sélectionnés, ayant fait leurs preuves au moins en termes de ventes sous format papier et/ou ebook, écrivant dans un à trois genres littéraires suffisamment proches. Admettons que je mette sur ma boutique ebook le livre d'un auteur X. L'intégralité du produit de cette vente irait dans la poche de cet auteur, et il ferait de même pour mon ebook dans sa boutique.

Au début, nous pourrions utiliser Payloadz pour tester. Dans un deuxième temps, si les ventes suivent, il faudrait mettre en commun une somme de manière ponctuelle pour embaucher un informaticien nous développant l'application sécurisée, sur chacun de nos sites, qui générerait le téléchargement. Si à terme, le nombre d'auteurs ou d'oeuvres devient trop important, il faudrait mettre une nouvelle somme en commun pour acquérir un site global (avec paiement mutualisé de l'hébergement), où chaque auteur autorisé (auquel on donnerait le code d'entrée) irait lui-même mettre ses ebooks et codes d'achat. Avec une charte graphique commune. Le but de ce site serait évidemment d'assurer une meilleure rémunération et une meilleure visibilité aux auteurs par rapport à des sites déjà existants comme Smashwords ou YouScribe.

En définitive, je dirais que pour la vente d'ebook, il est crucial de s'adjoindre ponctuellement le service d'informaticiens. Mais il est tout aussi crucial de faire en sorte que ces informaticiens soient payés au forfait et non sous forme de pourcentage de droits d'auteur.


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