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Marie LACHANIDIS - Le voleur d'âme (nouvelle inédite)

Par Eden2010
Marie LACHANIDIS - Le voleur d'âme (nouvelle inédite)

J’ai le plaisir de vous proposer aujourd’hui une nouvelle écrite par une toute jeune écrivaine, âgée de seulement 21 ans :

      Marie LACHANIDIS

Marie Lachanidis a déjà publié un premier livre (ATHANASIA, tome 1) et nous offre ici la possibilité de la découvrir à travers une histoire courte encore inédite, ce dont je la remercie vivement.

Vous pouvez retrouver Marie Lachanidis sur son blog :http://lartistocrate.centerblog.net/

Ou encore sur sa page facebook, consacrée à son premier roman :http://www.facebook.com/pages/Athanasia-Tome-1-Sanguinaria/119236911477084

Voici donc :

Le voleur d’âme

Aloysia se laissa choir sur un vieux fauteuil, exténuée. Elle leva les yeux vers une petite horloge murale et poussa un profond soupir. Ses doigts étaient marqués d’une ligne écarlate et profonde et ses mains ne pouvaient plus suivre le rythme…Cela faisait bien sept heures que la musicienne s’exerçait au violon. L’instrument en bois qu’elle avait tant chéri semblait s’être ligué contre elle. Pire, il boudait, il la haïssait et souriait de toutes ses cordes face à son désespoir. La jeune femme abandonna cette nouvelle bataille et se redressa doucement. Elle lança un regard méprisant mais plein d’amour à son violon, et se dirigea d’un pas vacillant vers la salle de bain. La salle d’eau, tout comme le reste du studio, était dans un piteux état. Le carrelage qui jadis arborait une couleur blanche, se décollait du mur pour venir se fracasser sur le sol – détruisant un autre carré au passage. Aloysia s’accrocha au lavabo et examina son reflet dans le miroir. Ses cheveux sombres volaient de façon asymétrique autour de son visage ovale. De grands cernes violacés soulignaient ses yeux en amande et sa peau devenait de plus en plus blanche. Elle grimaça et ouvrit le robinet d’eau froide. La musicienne laissa couler le liquide un instant puis s’en aspergea le visage. Déterminée, elle retourna affronter l’ennemi.
  La mentonnière calée contre son cou, elle respirait profondément. Ses paupières se glissèrent sur ses yeux, la plongeant dans un autre univers. Aloysia brandit son archet, inspira une dernière bouffée d’air et se mit à jouer. Les premières notes chantaient joyeusement, en parfaite harmonie. L’air était d’une extrême douceur, il se jouait lentement, tout en délicatesse. Son cœur cognait contre sa poitrine, battant la mesure avec passion. Aloysia oublia son logement insalubre, ses voisins bruyants, ses dettes,…Tout. Jusqu’à sa propre existence. Il n’y avait plus rien dans son univers, rien excepté la musique. Les notes se dessinaient dans son esprit, dansaient dans sa tête, faisaient vibrer son corps. Cependant, l’extase fut de courte durée…Une fausse note vint s’immiscer dans cette parfaite harmonie, détruisant d’un simple geste le monde onirique de la musicienne. Des larmes de rage roulèrent sur son visage. Elle voulut briser ce maudit instrument de torture, le réduire à un tas de poussière. Aloysia ravala ses sanglots et sa colère, elle ne pouvait pas se le permettre. La jeune fille croulait sous les factures et ses créanciers la rappelaient sans arrêt à l’ordre. Cette bourse était sa dernière chance…Si seulement elle pouvait intégrer cette académie de musique ! Elle quitterait enfin cet appartement ! Elle pourrait vivre dans une vraie chambre et plus dans un studio miteux aux murs dévorés par la moisissure. L’artiste se tourna vers son calendrier remplit de photos de chats – pourquoi l’avait-elle acheté ? Elle avait horreur de ces animaux.
  Cela faisait trois semaines exactement…Sa vie avait basculée un jeudi après midi. Elle s’en souvenait encore…Le soleil brillait bien haut dans le ciel azur, elle avait reçu sa lettre d’admission pour l’académie, elle avait gagné un bon pourboire au café où elle travaillait depuis quatre ans maintenant. Une journée idéale, de celle où l’on se sent invincible, plus fort que tout et heureux à outrance. Aloysia se revoyait encore, éclatante de bonheur pousser la porte de son chez elle. Elle chantonnait un air de Salieri, un compositeur qui lui avait toujours plu. Elle avait jeté son sac sur la table ronde de la cuisine-salle-à-manger et ouvert son courrier. Il n’y avait là rien de fort intéressant, d’ailleurs, elle lisait en pensant à autre chose. Que lui importait tout cela ? Elle allait faire sa rentrée dans la plus prestigieuse académie de musique de son pays ! Néanmoins, dans la pile d’enveloppes, une lettre attira son attention. Son regard se figea un instant, elle crut à une mauvaise plaisanterie. Ses doigts se crispèrent sur la feuille, elle relut le texte. Des gouttes de sueur glacée perlaient sur sa peau et coulaient le long de son dos. Cela ne pouvait pas être vrai ! Il s’agissait certainement d’une erreur ! Les jambes flageolantes, elle s’empara du téléphone et composa un numéro à la hâte. D’une voix tremblante elle expliqua en détails le contenu du courrier. Une femme antipathique lui demanda un numéro inscrit dans le bas de la page ainsi que son nom. Aloysia s’exécuta rapidement, son cœur battait la chamade, elle sentait l’angoisse la submerger. La nouvelle tomba telle une bombe ; il n’y avait aucune erreur. Son père avait aimablement allégé son compte en banque, prenant jusqu’au dernier sou les économies de sa fille. La violoniste balbutia quelques mots qui ressemblaient à des remerciements et raccrocha.
Depuis, elle avait entamé toutes les démarches possibles pour obtenir une bourse d’étude. Toutefois, si le précieux sésame était difficile à obtenir – seule une cinquantaine d’étudiants pouvaient être admis chaque année – la bourse ne s’octroyait pas à n’importe qui. Un grand concours était organisé et un jury de professionnel se chargeait de départager les participants. Les frais scolaires des plus élevés ne permettait qu’une bourse par an. Il ne lui restait plus qu’une seule chance d’y parvenir. Aloysia avait bien tenté de contacter son père pour récupérer son argent mais l’homme avait réussi à fuir. Elle n’avait jamais été très proche de son géniteur, ils ne se comprenaient pas. Et surtout, elle n’avait jamais pu lui pardonner de l’avoir abandonner à sa naissance. La violoniste soupira et récupéra son outil de travail. Le concours avait lieu dans six jours et Aloysia n’arrivait même plus à jouer les morceaux les plus simples. Elle accumulait les erreurs, ces notes traitresses qui brisent l’équilibre harmonique. Ses doigts glissèrent sur les cordes, elle ne pourrait pas dormir tant qu’elle n’avait pas joué une mélodie complète sans erreurs. Cette dernière tentative fut vaine. Ses joues s’empourprèrent sous l’effet de la colère. Elle poussa un hurlement désespéré et, tenant fermement le violon par le manche l’écrasa contre le sol. Le bois se brisa dans un bruit sourd, les cordes cédèrent à leur tour et rapidement, il ne restait plus rien de l’instrument. Les pièces détachées jonchaient sur le plancher, témoignant de l’agressivité de la scène. Aloysia tomba à genoux devant l’amoncellement de morceaux de bois. Un rictus étrange se dessina sur ses lèvres et elle éclata de rire. La musicienne contempla un long moment le cadavre de son ennemi qui gisait sous ses yeux. Au bout d’une heure, elle se leva et sans même prendre la peine de se changer, s’allongea sur son lit. Pour la première fois depuis très longtemps, elle s’endormit instantanément.

Le réveil fut difficile, comme au lendemain d’une fête. Aloysia ne se souvenait plus des évènements de la vieille, particulièrement des dernières heures de sa journée. Une horrible migraine lui sciait le crâne, ses sens semblaient surdéveloppés. L’odeur de moisissure, les bruits de pas de ses voisins, la lumière,…Toutes les informations lui parvenaient transformées, exacerbées voire décuplées. La violoniste traversa sa petite chambre d’un pas peu sûr, se raccrochant aux murs et aux meubles. Elle s’immobilisa dans l’encadrement de la porte. Les yeux écarquillés, elle fixait ce qui, quelques heures auparavant, était un violon. Elle se précipita dans la salle de bain et cracha sa douleur, son angoisse et tout ce que son petit corps contenait depuis trop longtemps. Elle écrasa ses paumes sur son visage humide, laissant sa tristesse éclater. Lorsqu’elle trouva la force de se lever, elle prit une longue douche pour se débarrasser de toutes traces de sa faiblesse. Ses larmes furent noyées dans plusieurs litres d’eau, elle rinça sa bouche plusieurs fois et s’essuya les lèvres au point de les déchirer. Aloysia se planta ensuite devant son miroir et toisa son reflet. Elle examina son corps nu avec mépris et incompréhension. Ses cheveux humides collaient sur sa peau comme pour encadrer les courbes de son visage. Un sourire s’épanouit sur ses lèvres pourpres, les ténèbres la dévoraient. La folie la guettait, se tapissait dans l’ombre de ses frayeurs, attendant le moment d’attaquer. Riant doucement, se moquant d’elle-même, elle s’éloigna de la psyché. Aloysia s’habilla rapidement – une chemise blanche trop grande pour sa maigre carrure sur un pantalon noir.
L’air frais vint se loger dans ses poumons, glaça son corps et la rendit ivre. Elle humait le vent, perchée sur la pointe des pieds, la tête renversée. La jeune femme écarta les bras de son corps et respira profondément,l’atmosphère était son absinthe. Elle rit aux éclats et se mit à tournoyer. A chaque tour, elle gagnait un peu plus de vitesse. Rapidement, les rues, les voitures et les passants se transformèrent en couleurs. Aloysia se trouvait au centre d’un tourbillon coloré, déchaîné de mille passions, un monde sans règles, sans obligations, sans vie. Hilare et à bout de souffle, elle finit par ralentir. Toutefois les paysages eux, ne semblaient pas vouloir freiner dans leur course folle – ce qui amusa beaucoup la musicienne. Elle avança plus en tanguant qu’en marchant et sans but précis. Par vengeance ou par attachement, son violon l’avait entraînée dans sa chute. Sa vie avait perdu tout son sens, la musique était sa seule passion. Et voilà qu’elle n’était plus capable d’aligner quelques notes correctement ! Elle coinça son petit sac noir sous son bras et scruta les environs ; le quartier lui était parfaitement étranger. Aloysia haussa les épaules, elle retrouvait toujours son chemin. Reprenant son calme, elle continua sa promenade. Marcher l’aidait à réfléchir et il lui fallait un plan, une issue de secours. Sans violon, elle ne pouvait décemment pas se présenter au concours. Sans bourse, elle pouvait dire adieu à l’académie…Elle secoua la tête, l’école n’allait pas disparaître ! Si elle ne réussissait pas cette année, rien ne l’empêchait de tenter sa chance l’été prochain.
Ses pas la guidèrent jusqu’à une brocante. Il ne lui restait plus beaucoup d’argent, aussi, se promit-elle de ne rien acheter. Elle aimait les vieux objets, ceux qui avaient appartenu à des inconnus, qui emprisonnaient des histoires, des anecdotes, des secrets…Elle ralentit devant un comptoir rempli de bijoux et de dentelles. Elle se mordilla la lèvre, certaines pièces étaient magnifiques. Particulièrement cette parure en améthyste...La jeune femme caressa la pierre mauve soigneusement taillée. Elle remarqua une petite étiquette du coin de l’œil, elle la retourna discrètement et arqua les sourcils. A ce prix là, elle pouvait s’offrir un nouveau lit et une commode convenable ! Elle serra la lanière de son sac, que ferait-elle de ces bijoux si elle se retrouvait à la rue ? Ce n’était certainement pas ce luxueux accessoire qui la protègerait du froid. La violoniste tourna les talons et pressa le pas. Des objets de toutes sortes la narguaient, la tentaient avec malice mais les prix suffisaient à la dissuader. Les promeneurs portaient des sacs pleins de trésor, de bijoux, de vêtements, de chaussures…Aloysia secoua la tête, elle ne craquerait pas. Un jour, elle sera une violoniste reconnue et elle pourra se permettre ces achats superflus pour son plus grand plaisir. En attendant, il lui restait ses yeux pour admirer les belles pièces mises en vente – et pour pleurer sur sa vie misérable. La jeune femme maudit les vendeurs, pourquoi se sentaient-ils forcés de crier les qualités de leurs marchandises ? Aloysia accéléra un peu, cette rue aux mille tentations était un territoire hostile.
Soudainement, ses jambes refusèrent d’avancer. Son corps se figea, sa pompe cardiaque cessa de battre un instant. Sa tête pivota tandis que ses yeux s’affolaient, cherchant sur l’étalage un étui noir. Ce n’était plus du sang mais de l’adrénaline qui déferlait dans ses veines.La jubilation explosa en elle, Aloysia laissa échapper son bonheur avec exubérance. Elle gagna l’étalage en quelques pas et, sans oser le toucher, examina le coffret. Le propriétaire s’approcha d’elle et la salua d’un hochement de tête. Il lui adressa un sourire énigmatique et ouvrit l’étui. La musicienne laissa échapper un cri admiratif devant le violon. Aloysia effleura le bois d’épicéa, fascinée par l’instrument. Il n’était pas neuf, la caisse présentait quelques éraflures, la mentonnière était un peu usée quant au vernis, il avait visiblement souffert. La jeune femme se mordit la lèvre inférieure. Le prix correspondait précisément à ce qu’il lui restait. Sa raison lui ordonnait de fuir mais elle était hypnotisée par la majesté du violon. Elle ne pouvait résolument pas partir sans l’emporter avec elle. Aloysia passa ses doigts sur les cordes, il le lui fallait. Il coûtait presque aussi cher qu’un violon neuf, mais ce détail fut vite oublié. Utilisant le concours comme excuse pour berner sa conscience, elle tendit l’argent à l’homme et emporta l’étui. La musicienne serra amoureusement son achat contre son cœur, exaltée.

La jeune femme poussa la porte de son studio, jeta son sac dans un coin et déposa délicatement l’étui sur la petite table ronde. Elle le caressa longuement avec tendresse puis poussa un soupir de contentement. Elle ouvrit méticuleusement le coffret et en extirpa le violon. Elle inspira une dernière fois puis retint son souffle tandis que l’archet faisait chanter les cordes. Ses doigts se déplaçaient sur le manche avec une incroyable fluidité, les notes s’enchaînaient à une vitesse folle. L’harmonie était parfaite, la musique merveilleuse, ensorcelante. Son corps suivait le mouvement, secoué par un flux d’émotion incontrôlable et intense. Elle ralentit la cadence, laissant place à la douceur. Les paupières closes, elle vivait sa musique. Ses sourcils se froncèrent, elle s’enfonçait un petit peu plus dans son univers. La tempête reprit le pas sur l’air délicat. Ses membres s’agitaient à nouveau rapidement, tout en souplesse. Aloysia souriait, triomphante. Non seulement elle avait vaincu ses démons mais en plus de cela elle n’avait jamais aussi bien joué. Lentement, les vents furieux s’apaisèrent faisant place à une partition moins passionnée, plus calme. Les dernières notes moururent, la mélodie s’acheva.
Heureuse, elle souffla un « enfin ! » victorieux. Elle rangea attentivement l’instrument et exécuta quelques pas de danse. Avec cette merveille pour allié, la bourse ne lui échapperait pas ! Elle éclata de rire et fit une révérence très gracieuse, s’imaginant sur l’estrade de la salle du concours. Aloysia remercia chaleureusement le jury de l’avoir choisie, elle, et envoya des baisers du bout des doigts à la foule venue l’admirer. Elle fit mine d’être désolée pour ses concurrents et serra la main du directeur. Elle joua l’émotion, essuya ses larmes invisibles, fit une nouvelle révérence et prit une série de poses pour les photographes. Revenant à la réalité, elle regretta presque son studio miteux. Presque. Ce n’était pas de sa faute, si elle était une talentueuse violoniste. Un être aussi doué ne peut pas vivre coincé entre quatre murs étroits !
  Le violon, les compositions des plus grands maîtres, la position de ses doigts, les angles de l’archet…Tout ce qui était lié de près ou de loin à son nouvel amant, tout cela se transformait en obsession. Aloysia ne dormait plus, ne mangeait plus, ne se préoccupait plus de rien. Sa vie, se limitait à son nouveau violon. Lorsqu’elle ne jouait pas, elle le couvait d’un regard rempli d’amour ou elle chantait les mélodies qu’elle avait apprises.Elle avait même entamé l’écriture d’une composition. Elle y travaillait des heures avec frénésie, soignant l’écriture des notes, veillant à leur justesse et à l’harmonie. En véritable perfectionniste, elle la réécrivit à plusieurs reprises, chaque nouvelle version étant plus complexe que la précédente. Plus elle s’exerçait, plus sa passion la dévorait. La musique tel un feu ardent la consumait de l’intérieur. Les flammes alimentaient son génie et la transformaient en une violoniste parfaite. Les erreurs étaient à présent inexistantes, elle ne se trompait plus, n’avait plus aucune hésitation. La musique coulait, débordait de son corps. D’une couleur éclatante, elle reflétait les lumières de son âme.
A bout de souffle, Aloysia se renversa sur son lit. Sa respiration était haletante, elle suffoquait. Son sang battait ses tempes et son rythme cardiaque était beaucoup trop rapide. En sueur, elle s’épongea le front avec une serviette blanche et, entre deux souffles se mit à rire. Sa composition lui demandait des efforts et sa santé en pâtissait de plus en plus. Mais ce n’étaient là que des détails sans importance. La musicienne avait tout sacrifié pour son art, elle ne renoncerait pas. Pas maintenant, pas avec ce trésor qui avait englouti ses dernières économies. La musique est la nourriture de l’âme, elle n’avait besoin de rien d’autre. Son esprit était nourri en abondance des mets les plus luxueux. Ivre d’allégresse, elle s’assoupit quelques instants. Ses yeux brûlaient à cause du manque de sommeil, ses paupières ainsi closes étaient un véritable soulagement.
Lorsqu’elle ouvrit les yeux, elle tenait toujours le manche de l’instrument. Elle lui sourit, comme on sourit à une personne aimée et lui murmura des phrases câlines. La violoniste retourna à l’écriture de sa composition, elle était presque prête. Dans son sommeil, elle avait décidé qu’elle jouerait son chef d’œuvre au concours. Une musique aussi entraînante et sincère ne pouvait que séduire le jury. De surcroît, peu d’étudiants se risquaient à jouer une composition personnelle. Un bon moyen pour se démarquer des autres concurrents. Aloysia quitta son lit, abandonnant son fidèle ami le temps d’une douche. Le jet d’eau tiède massait son crâne et son corps. Elle récolta un peu de savon parfumé dans le creux de sa main et le fit mousser sur sa peau humide. Le parfum de lavande la revigora, le cours de ses pensées semblait plus clair. La jeune femme s’enveloppa dans une grande serviette et s’arrêta un instant devant son miroir. Aloysia plissa les yeux, son teint paraissait plus brun. Elle frotta sa joue mais en vain. Etonnée, elle examina le reste de son corps. Elle haussa les épaules, certainement une illusion d’optique. La pièce n’était pas très bien éclairée, il n’y avait pas de quoi s’inquiéter. Et puis, si elle arborait un teint plus halé, elle n’allait pas s’en plaindre ! Elle aurait plus de chance ainsi qu’en ayant l’air d’un cadavre fraîchement déterré.
Aloysia s’installa dans un fauteuil et chanta sa composition. Elle ne s’était pas habillée, elle n’estimait pas cette activité nécessaire. Pourquoi devrait-elle perdre son temps à se vêtir alors qu’elle pourrait travailler sur sa musique ? Elle traça les dernières rangées de note avec dextérité et érudition. Elle relut plusieurs fois ses feuilles, s’assurant de n’avoir commis aucune erreur. Tout semblait parfait. Absorbée par sa tâche, elle ne remarqua pas que deux grandes arabesques noires se dessinaient sur son dos. Au plus elle chantonnait sa composition, au plus les traits s’ancraient profondément dans sa peau. Satisfaite, elle se redressa et attrapa son instrument. La partition sous les yeux, elle entreprit de jouer pour la première fois sa « mélodie de l’âme » en entier. Les notes se succédaient à merveille, la musique d’abord douce et légère devint plus lourde. Sa folie et sa passion se ressentaient fortement dans son travail.Ses phalanges couraient sur le manche, écrasant les quatre cordes avec fureur et détermination. L’archet exécutait une valse en solitaire rythmée par la musique. Doucement, les hanches de la musicienne se creusèrent jusqu’à prendre une forme impossible. Ses jambes fines et droites s’évaporèrent à chaque mesure, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus rien. Sa poitrine s’aplatit, ses épaules s’élargirent, suivant les notes endiablées. Le visage d’Aloysia se transforma en volutes, ses oreilles se changèrent en chevilles. Et bientôt, l’instrument et le musicien ne firent plus qu’un.

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