"Je suis assise au pied du bureau. Je suis assise sous le bureau. Je suis assise par terre sous le bureau et je ne vais plus me lever. Je ne vais plus me lever. Je suis assise pliée en deux sous le bureau, dans l'espace noir sous le bureau, dans l'espace noir sous le bureau où personne ne s'assied jamais, où personne ne pense même à s'asseoir, c'est trop petit et c'est trop noir et dans cet espace trop petit et trop noir il ne tient que moi pliée en deux et je n'en sortirai plus. Je vais trembler sous le bureau dans le noir jusqu'à oublier la cause même du tremblement de mon corps et plus rien au dehors ne m'appelle, il n'y a plus rien au dehors qui puisse m'appeler, le téléphone peut continuer de sonner, les enfants dans la cour de l'immeuble continuer de crier, et le soir sur la ville qui commence à tomber, les réverbères s'allument et c'est la nuit qui tombe, le silence de la nuit et les bruits qui tombent les uns contre les autres, les mêmes bruits que la nuit d'hier, les mêmes bruits étouffés et les pas des voisins sur le parquet au-dessus de ma tête, au-dessus du bureau, je suis sous le bureau et aucun bruit ne pourra m'en déloger, je suis repliée sous le bureau dans le noir et tout l'espace autour, tous les bruits et l'espace de la ville et du monde me font mal au coeur et mon corps tremble d'entendre encore résonner au-dehors les bruits de la nuit qui tombe, je reste assise et je ne me lèverai pas, la nuit peut tomber et les jours se lever, je reste assise jusqu'à oublier le tremblement de mon corps et la tête repliée sur les genoux je reste cachée à la face du monde sous le bureau de Samuel, sous le bureau de Samuel qui m'enlace comme un grand corps pour m'étouffer aux bruits du monde qui tombe."
Extrait (magnifique !!) de Les Oiseaux de Paradis de Lise Benincà, Août 2011